Nous poursuivons notre série avec Sabine Honoré qui nous décrit l’angoisse du silence pendant les heures qui ont suivi le séisme.

Je n’oublierai jamais ce moment où j’ai reçu l’appel de ma mère me demandant comment capter RDI, car elle venait d’apprendre qu’il y avait eu un tremblement de terre en Haïti. Il était 18 h et j’allais animer une réunion. Je lui fournis les explications et je raccrochai sans me douter de l’ampleur de la catastrophe.
Ce n’est que quelques minutes plus tard, quand un collègue haïtien vint me dire qu’il semblerait que le Palais national et la cathédrale s’étaient effondrés, et que Port-au-Prince était dans le noir, que j’ai commencé à comprendre.
Et là, je me suis mise à trembler et à pleurer, en plein hall d’un hôtel, à 10 minutes de ma présentation.  Je l’ai faite, mais avec la tête ailleurs et les larmes aux yeux. Je n’arrêtai pas de penser à ma famille là-bas, habitant proche du palais, et à la maison qui déjà était fissurée.
Arrivée chez moi, j’essayai de les joindre au téléphone. Rien. J’ai essayé plusieurs fois ce soir-là, mais silence complet.  Ma mère et moi, on était constamment sur RDI à suivre les nouvelles, c’était notre façon de nous sentir proches d’eux. On n’a pas dormi cette nuit-là…
Qu’un gémissement au bout du fil
Le lendemain, toujours pas de nouvelles de notre famille, on n’arrivait à joindre personne au téléphone. Pendant ce temps, les images de l’horreur défilaient et la réalité devenait de plus en plus sombre et sanglante…
Je sortis pendant quelques heures m’occuper d’un client. Et quand je revins à la maison, à la porte, ma mère en cris et en pleurs me dit : « J’ai pu entrer en communication avec Haïti, j’ai appelé le cell de Martine, ta cousine, et elle a décroché, mais je n’ai entendu qu’un gémissement au bout du fil, je pense qu’elle est sous les décombres…»
« Je pense qu’elle est sous les décombres. »
- La mère de Sabine
Et là, j’ai poussé un cri et je me suis plié en deux, je me suis mise à pleurer et ma mère m’a accompagnée jusqu’à la salle de séjour. Je ne pouvais pas me tenir droite, accablée par la tristesse. Elle non plus, mais on puisait de la force l’une de l’autre.
Au fil des heures, elle a complètement craqué, pleurant, refusant de manger, regardant seulement les nouvelles et attendant un appel… Le jeudi, on était complètement à bout de nerfs, pleurant, on ne mangeait pas, on attendait un appel d’Haïti…
Peu importe, on voulait juste avoir une nouvelle, bonne ou mauvaise, on voulait juste savoir. Vendredi, je craquai à mon tour, accusant ce Dieu qu’on servait de tous les noms méchants, lui demandant pourquoi, l’implorant, le suppliant. En fait, j’étais au bord de l’hystérie, puis épuisée, je m’affalai sur le sofa qui était ma place favorite depuis trois jours maintenant.
Nous sommes revenues à la vie
Et puis vint l’appel… Pas d’Haïti, mais des États-Unis, nous disant que notre famille qui habitait notre maison allait bien. La maison s’était effondrée, mais tout le monde était vivant! Là, nous sommes revenues à la vie. Le samedi, on est allées à l’église, toujours aussi abattues, mais au moins reconnaissantes d’avoir eu des nouvelles.
Vers 16 h, on a reçu un appel d’Haïti : c’était ma cousine Martine. Elle nous disait qu’elle, sa famille et son enfant allaient bien. Mais deux jeunes cousines éloignées étaient mortes et beaucoup de nos connaissances aussi. On était tristes, mais en même temps soulagées.
Et on a pu finalement aller faire l’épicerie pour reprendre des forces et poursuivre. Les choses ne seront plus jamais pareilles, on ne pourra plus rire de manière insouciante, sachant que la seconde qui suit peut être la dernière.
Sabine Honoré