Haïti brûle, encore et encore. Quand ce n'est pas le soleil cuisant des Antilles, ce sont les pneus qu'on incendie ici et là dans les rues pour bloquer toute circulation, comme si la gazoline n'était pas rationnée. Mais «la mayonnaise de la contestation», pour reprendre l'expression de la Franco-Américaine Susan George, la présidente d'honneur d'Attac, tarde à prendre. Tous les jours, des manifestations de protestation dont on n'entrevoie pas la fin secouent Port-au-Prince. On proteste contre le vide gouvernemental et le chaos, contre la fraude institutionnalisée, contre la faim qui tenaille l'estomac de quelque 2,4 millions d'Haïtiens, contre l'absence de démocratie, contre cette farce électorale, organisée en novembre dernier, alors que la majorité des déshérités n'ont pas pu voter. Les Américains, avec l'ancien président Bill Clinton en tête, ont fait main basse sur cette perle des Antilles, qui repose, cela a été établi, sur d'immenses gisements de pétrole. Depuis plusieurs années, d'énormes quantités d'argent circulent entre les mains des milliers d'ONG qui se plaisent à s'étiqueter «sans frontières» mais dont les frontières sont pourtant bien définies, au nord de l'île, certaines compatissantes mais impuissantes, d'autres complices de la corruption généralisée, tandis que des centaines d'entreprises, majoritairement étasuniennes, font des affaires d'or et reçoivent de juteux contrats de Washington, imposant peu à peu leur modèle de développement économique pour l'île, celui de la dépendance totale envers le géant américain. Haïti était, au début des années 1980, un pays exportateur de denrées alimentaires. Il produisait, entre autres, tout le riz qu'il consommait, la denrée alimentaire de base dans ce pays. Le pays était plus ou moins autosuffisant au plan alimentaire. Aujourd'hui, la majeure partie du riz qu'on y consomme provient des États-Unis, et plus précisément de la compagnie ERLY Industries, à travers sa filiale American Rice. En 1986, le Fonds monétaire international (FMI), avec l'accord de Washington, a consenti de prêter de l'argent à ce pays à la condition qu'il abaisse ses tarifs douaniers à l'importation. C'est ainsi que le gouvernement haïtien dut baisser considérablement les barrières tarifaires qui protégeaient ses produits alimentaires de base et qui passèrent de 150% à 3%! Désormais, le riz importé de la Californie ou de l'Arkansas se vend moins cher que le riz produit sur place. Les petits agriculteurs, principalement ceux de la vallée d'Artibonite, la plus importante région rizicole, n'étaient plus de taille pour affronter l'agriculture étasunienne, subventionnée au maximum à travers toutes sortes de programmes. De 1985 à 2009, les producteurs de riz étasuniens ont reçu 12 milliards 500 millions de $ en subventions et selon la USA Rice Federation, 90% du riz qui se consomme en Haïti provient des États-Unis. La multinationale Monsanto ne voulait pas être en reste dans ce banquet de riches. Elle s'est associée à Chemonics, une filiale de la même ERLY Industries, pour y distribuer ses semences traitées avec un pesticide interdit dans plusieurs États américains, le Thiram, un fongicide toxique pour les abeilles et les oiseaux, entre autres. Le 4 juin dernier, Journée mondiale de l'environnement, 12 000 petits agriculteurs haïtiens ont brûlé les semences de Monsanto pour protester contre cette atteinte à leur souveraineté. Une véritable «déclaration de guerre», selon Doudou Pierre, coordonateur du Comité national de défense de la souveraineté et la sécurité alimentaires en Haïti. Curieusement, les journaux d'ici n'en ont pas parlé. C'est qu'on se plaît, semble-t-il, à montrer l'homo haïtianus plus soumis qu'il ne l'est en réalité. Les petits agriculteurs, privés de leur gagne-pain, sont allés joindre les rangs des centaines de milliers de chômeurs. Cette situation prévalait bien avant le séisme et c'est ce qui explique en partie le développement désordonné et anarchique de la capitale Port-au-Prince, où des milliers de sans-travail, venus des campagnes pour solliciter de l'aide et du travail, se sont construits des abris de fortune. Ce sont ces paysans qui formèrent le gros des quelque 300 000 victimes du tremblement de terre de janvier 2010. Devant le Comité des relations extérieures du Sénat, en mars 2010, Bill Clinton s'est excusé du tort qu'il avait causé aux agriculteurs haïtiens en favorisant ainsi l'importation massive de riz américain. «Ce fut une erreur», a-t-il admis. Mais, malgré ces aveux, rien n'a changé depuis. Et ce n'est pas les «appels à l'unité» du peuple haïtien lancés par Baby Doc qui vont changer la donne. Allez, vivement une révolution, non pas aux odeurs du jasmin, mais de la mangue! |
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