Haïti: Le retour mystérieux et inopiné en Haïti de l'ancien dictateur haïtien Jean-Claude Duvalier, après 25 ans d'exil en France et au moment où le pays est plongé dans une grave crise politique, pourrait s'expliquer non par la soif du pouvoir, mais par l'appât du gain.
L'ancien homme fort d'Haïti (1971-86), débarqué dimanche à la surprise générale à Port-au-Prince, assure être revenu pour aider à la reconstruction du pays après le séisme du 12 janvier. Il prétend aussi n'avoir aucune ambition politique et ne pas vouloir perturber l'élection présidentielle en cours.
Mais associations de défense des droits de l'homme et experts estiment que son retour fait partie d'une manoeuvre qui lui permettrait de retrouver ses avoirs bloqués en Suisse.
"Ca semble être l'explication la plus plausible lorsqu'on rassemble toutes les pièces du puzzle", estime Reed Brody, conseiller auprès de l'association Human Rights Watch et ancien procureur en Haïti.
Cette hypothèse se fonde sur une loi suisse qui entrera en vigueur le 1er février et devrait permettre la restitution à Haïti de quelque 5,7 millions de dollars déposés par la famille Duvalier sur des comptes en Suisse.
Le nouveau texte permet au gouvernement helvétique de rendre aux populations spoliées des fonds illicites bloqués en Suisse même si les pays concernés n'ont pas engagé d'action en justice contre l'auteur de la spoliation.
Toutefois, il faut que l'action judiciaire n'ait pas été intentée soit parce que les structures judiciaires dans le pays sont trop faibles, soit parce que la personne visée ne se trouve pas dans le pays. D'où le retour de Duvalier.
"Cela signifie que la Suisse peut confisquer l'argent et le rendre à Haïti, sans qu'Haïti ne doive poursuivre en justice Duvalier", explique M. Brody dans un entretien téléphonique.
"Mais si Duvalier revient en Haïti et n'est pas poursuivi, alors il peut dire: je suis disponible pour des poursuites, mais vous ne me poursuivez pas, rendez-moi mon argent".
Duvalier espérait rentrer en Haïti et en repartir discrètement, mais mardi il a été inculpé de corruption, détournements de fonds publics et association de malfaiteurs. Et mercredi quatre plaintes pour crimes contre l'humanité ont été déposées contre lui. Les autorités lui ont dès lors signifié une "interdiction de quitter le pays".
Il y a un an Duvalier avait failli récupérer son argent, la plus haute instance judiciaire helvétique, le Tribunal fédéral, ayant annulé la restitution à Haïti d'une partie de ses avoirs.
Mais la décision, rendue alors qu'Haïti venait d'être secoué par le séisme du 12 janvier 2010 qui a fait plus de 250.000 morts, avait soulevé une vague d'indignation en Suisse, obligeant Berne a proposer un décret d'urgence bloquant la restitution à Duvalier de ses avoirs jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi.
Le gouvernement suisse estime que Duvalier a volé entre 400 et 900 millions de dollars à son pays pendant ses 15 années passées à la tête d'un régime notoirement corrompu et violent fondé en 1957 par son père François Duvalier.
"La seule chose qui semble avoir un sens c'est probablement la question financière", juge également Alex Dupuy, un sociologue de la Wesleyan University né en Haïti. "S'il est, comme on le dit, dans un tel manque désespéré d'argent, cela pourrait être une raison suffisante pour lui de tenter de revenir en Haïti pour y rester quelques jours avant d'en repartir".
Mais pour un de ses avocats, Gervais Charles, ce n'était pas une bonne idée.
"Personne ne l'attendait en Haïti et il est revenu comme quelqu'un que le monde a oublié. Mais depuis qu'il est là, les médias sont là aussi et les associations de défense des droits de l'homme lui demandent des comptes. Il est revenu au mauvais moment", admet-il.
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