- Commission Episcopale Nationale Justice et Paix
Dans ce rapport la Commission Nationale Justice et Paix présente son rapport final du premier tour des élections du 28 novembre 2010, qui ont abouti sur une crise électorale importante.
La Commission Justice et Paix est convaincue que les causes fondamentales de cette crise électorale résident dans un manque d’éthique et de culture politique dans le pays, et également dans le manque d’une tradition électorale qu’on ne réussit pas à instaurer.
L’absence d’éthique et de culture politique se manifestent de plusieurs façons. Ainsi, il y a la volonté de commettre des fraudes ; il y a la violence planifiée contre les citoyens-adhérant d’une vision politique différente ; il y a le refus de suivre les règles et normes démocratiques qui va de pair avec la prétention de les observer. Tout cela démontre que le pays est loin toujours d’une éthique et culture politique qui permette à la démocratie de faire des avancées importantes. Au contraire, lors les élections de 2009 et 2010, il y a eu davantage d’actes de violence. La Commission Justice et Paix peut témoigner à partir de certaines expériences. Quelque part dans les montagnes, la Commission s’était donnée à l’éducation civique en préparation des élections de novembre dernier. Un habitant de la zone remarquait : nous n’avons pas besoin de cela en ce moment, parce que nous préparons autre chose pour le 28 novembre. En effet, la communauté se préparait à faire passer son candidat à la députation par tout moyen possible. Ceux qui commettent des actes de violence savent très bien qu’ils agissent contraire à ce que le bien du pays commande. Pourquoi alors s’engager dans cette voie qui contredit le bien de la communauté ? Pourquoi choisir une voie sans issue ?
Ensuite nous signalons l’absence d’une tradition électorale, qui devrait se construire sur les expériences du passé. Mais comment accumuler de l’expérience si l’institution responsable (le CEP qui est provisoire) subit continuellement des changements. Seul un CEP permanent sera en mesure de garantir qu’il y ait continuité des bonnes expériences et des avancées. Lui sera capable de laisser derrière lui ou de corriger ce qui ne permet pas de construire l’avenir. Lors des dernières élections, non seulement il n’y avait pas de progrès dans l’organisation électorale, mais on a eu l’impression que l’appareil électoral s’est organisé pour faire échouer les opérations. Ceci est grave. Nous sommes convaincus que le rapport fournira les indicateurs de cette affirmation.
La Commission Justice et Paix réitère sa demande pour que les acteurs politiques impliqués se rencontrent et se concertent. Aucun acteur ne peut prétendre qu’il n’ait pas sa part de responsabilité dans cet échec collectif. Il faut créer des moments pour faire la vérité, et puis, comme Haïtiens, chercher comment faire avancer ce pays qui est le nôtre. Mais est-ce que la volonté y est pour avancer ensemble dans le respect de l’autre, un respect qui doit se manifester dans l’observation des règles et principes et dans le souci commun pour un pays qui s’appelle Haïti, avec tous ceux et celles qui l’habitent ?
Dans ce rapport le lecteur trouvera l’analyse des procès verbaux des 1.300 observateurs que la Commission a déployés à travers les 10 départements. Après les rapports de synthèse des coordonnateurs départementaux (s’il y en a), le document analyse les procès verbaux de chaque centre de vote. Les rapports montrent les centres de vote où la Commission fut présente et ils donnent des détails sur le dépouillement de la journée électorale. Pour finir, la Commission présente un nombre de considérations qu’elle juge importantes et de recommandations.
Le 2 décembre, la Commission a publié une note de presse où elle a fait état des grandes irrégularités et incidents observés le jour du scrutin. Ce rapport donne des détails qui soutiennent cette première déclaration quelques jours seulement après le scrutin.
La Commission espère que ce travail puisse aider à développer cette éthique et culture politique démocratique, nécessaire au développement du pays.
Arrêtons Ces Vieilles Habitudes Et Pratiques
La journée électorale du 28 novembre 2010 s’est terminée. C’est une journée qui soulève pas mal de questions. Il y avait la fermeture prématurée de plusieurs centres de vote, en certains endroits on trouvait des bulletins et listes électorales dans les rues, des boites de vote se consumaient par le feu ; il y a eu des fraudes, comme en certains endroits où on avait rempli d’avance les urnes. Beaucoup de gens en sortent frustrés ou ils sentent le découragement, car il y avait un problème des listes électorales.
Jilap a observé le processus électoral avec 1300 observateurs à travers le territoire national. Voici ce que nous avons observé :
Avant l’élection
1. Depuis avant l’élection, nous avions constaté pas mal d’actes de violence et d’intolérance entre les candidats. Ils ne respectaient pas la loi électorale quand ils tenaient des propos agressifs, quand leurs acolytes portaient des armes, quand il y avait des attaques au cours de la campagne électorale, par exemple dans la Grand’Anse plus précisément à Beaumont, et dans les départements du Sud, du Sud-est et du Nord.
2. Les candidats eux-mêmes montraient peu de respect pour la loi électorale ; ils n’exigeaient pas ce respect de la part de leurs partisans.
3. Un candidat avait dénoncé la propagation d’armes dans le pays, mais la Justice n’a jamais fait mention d’une enquête pour vérifier l’allégation.
4. Il y avait un manque de communication du CEP avec la population y compris avec les différents acteurs dans le processus. Les conséquences de ce manque de communication allaient apparaître clairement au jour même des élections, quand les gens ne savaient pas où aller voter.
5. Dans un pays pauvre et plein de problèmes, les candidats n’ont jamais dépensé autant d’argent pour mener une campagne électorale, surtout ceux qui militaient sous la bannière du Gouvernement au nom de la continuité. Il n’ont jamais déclaré publiquement la provenance de ces fonds.
6. Beaucoup de rumeurs circulent, mais personne ne sait vraiment où se trouve la vérité. Avant le scrutin, le bruit courait qu’il y avait 500.000 bulletins de vote qui échappaient au contrôle du CEP. On remplaçait plusieurs superviseurs et membres de BV. Vraiment le jour du scrutin, beaucoup d’entre eux étaient incompétents ou ils n’avaient pas de formation pour le travail.
La plus grande frustration des gens qui allaient voter c’est quand ils ne trouvent pas leurs noms dans les listes électorales partielles. Ceci est un constat général à travers tout le territoire du pays.
Le jour même de l’élection
Absence d’une bonne organisation et de planification
· La plus grande frustration des gens qui allaient voter c’est quand ils ne trouvent pas leurs noms dans les listes électorales partielles. Ceci est un constat général à travers tout le territoire du pays.
· De plus, il y avait d’autres manquements dans les listes électorales : la liste affichée à la porte est différente avec celle qui est à l’intérieur. Il y a des gens qui trouvent leurs noms à l’extérieur, et ne fait pas parti de la liste qui est à l’intérieur. Il y a des listes avec photo et il y a qui n’ont pas de photo, il y a des noms avec des photos qui ne correspondent pas et vice versa. Il y a des gens qui avaient retrouvé leurs noms et BV sur l’Internet, mais leurs noms ne figuraient pas sur la liste du BV.
· A Jacmel, on nous a donné des exemples vivants sur ce point, où on a comparé les 2 listes des électeurs l’une avec l’autre.
· Les gens qui avaient fait appel au COV, ne retrouvaient pas leurs noms nulle part.
· Il y avait plusieurs erreurs dans la gestion du matériel de vote : ou bien les listes électorales partielles faisaient défaut ; ou bien les bulletins de vote pour les députés ne se trouvaient pas à la bonne destination, comme les bulletins pour un député au Nord-est qui se trouvaient au Sud-est ; ou les bulletins du député de Ouest 2 qui se retrouvaient à Ouest 3. Lavanneau et La Montagne (commune de La Valée) n’ont pas reçu les bulletins pour le député.
Les observateurs et mandataires ont finalement obtenu leurs badges d’accréditation le vendredi, moins de 48 heures de temps avant le scrutin. Pourtant, les demandes avaient été introduites au CEP depuis la mi-octobre.
· Les observateurs et mandataires ont finalement obtenu leurs badges d’accréditation le vendredi, moins de 48 heures de temps avant le scrutin. Pourtant, les demandes avaient été introduites au CEP depuis la mi-octobre.
· Les observateurs et mandataires ont reçu la nouvelle version du Code d’observation électorale le mercredi avant le scrutin. Plusieurs mandataires n’ont pas eu le temps de voir quelques changements, comme la précision sur leur droit de vote : il fallait être au BV avant 6 heures du matin pour voter. Ceci a causé pas mal de discussion entre les responsables des BV et des mandataires. En plusieurs lieux, les mandataires de l’INITE ont passé la nuit dans les centres de vote. Aux Nippes (à Baradères, Petite Rivière et Anneau), on a emmené des mandataires pour l’INITE venant d’ailleurs ; ils ont pu voter tout de même.
Des partis politiques et candidats impliqués dans le désordre
· En plusieurs endroits on nous signale l’implication des partis politiques dans le désordre et les actes de violence. Des candidats à la députation sont impliqués également. Le plus souvent, on pointe le doigt sur le groupement politique INITE, qui a fait usage d’armes à feu lors des troubles dans les BV et centres, comme au Trou du Nord et à Ouanaminthe (Nord-est). D’autres partis se sont impliqués également : comme AAA, RDNP et Solidarité à Desdunes (Artibonite), ou Ansanm nou Fò à Port a Piment (Sud).
· En certains endroits, les urnes n’étaient pas vides au début, comme on le signale à Phaéton (Nord-est). Des partisans de l’INITE sont venus au cours de la journée ajouter des bulletins dans les urnes Aux Cayes, centre Dumarsais Estimé. A Port à Piment (Sud) des partisans de Ansanm nou Fò ont mis le feu aux urnes ; à Trou du Nord, c’étaient des partisans de l’INITE. En plusieurs endroits les bulletins ont été jetés par terre.
· Dans le Nord, un groupe de bandits a visité l’Acul du Nord et Camp Louise, où ils ont été repoussés, pour perpétrer des actes de brigandage ; ils se sont présentés comme des partisans de AAA, mais la population n’y croit pas.
· Dans d’autres lieux, on a semé la panique avec des armes à feu pour faire vider les lieux, comme à Dondon et ailleurs dans le Nord, à Aquin dans le Sud, à Pérédeau dans le Sud-est et à Voldrogue dans la Grand’Anse. Partout on pointe l’INITE du doigt.
· Dans le Nord-est, un groupe de jeunes a mené une « Operasyon degrenngòch » en faveur de l’INITE, les armes à la main. Ils sont passés au Trou du Nord (centres de Garcin et Dubuisson), Roche Plate et Caracole. La police a retrouvé leur voiture AA90028 à Fort Liberté.
· Certains candidats et personnes en position d’autorité n’ont pas respecté les prescrits de la loi électorale sur les manifestations le jour du scrutin (comme cela s’est passé à Port-au-Prince et aux Gonaïves (Repons Peyizan et AAA).
· Dans l’Artibonite, des centres de vote ont été fermés : Verrettes, La Chapelle et Liancourt.
· Au centre de Permouel (Fonds des Nègres), INITE achetait des votes pour 500 gourdes.
Des autorités locales se sont impliquées dans des intérêts partisans
· A Port-au-Prince, le premier Magistrat accompagné de CIMO, s’est impliqué dans les disputes entre BV et mandataires dans le centre Ecole Don Dumerlin.
· Le jour du scrutin, la police a arrêté le chauffeur de l’ex-député de Maïssade qui transportait 2 urnes avec des bulletins de vote, ainsi que 2 armes à feu dans sa voiture.
· A Port de Paix, la police avait arrêté un nombre de partisans impliqués dans des actes. Le Délégué est intervenu pour faire relâcher les membres de l’INITE.
Les conséquences de tout cela sont graves :
· Il y a eu mort d’homme le jour du scrutin : 2 personnes tuées par balles à Aquin et 1 personne à Fort Liberté. D’autres victimes ont été blessées par arme blanche.
· De nombreux citoyens et citoyennes se sentent frustrés, déçus et attristés.
· Un nombre de centres de votes n’ont pas ouverts leurs portes ; d’autres ont été fermés avant l’heure ; il y a des centres et BV qui ont été fermés sans faire le comptage des votes. Beaucoup de matériel a été détruit par la violence.
· Les événements ont endommagé la confiance mutuelle dont le pays a besoin ; ils illustrent le manque de tolérance dans la société ; la crise fait surface davantage.
Comment comprendre les événements ?
· Un nombre de ces actes constatés ne sont pas nouveaux. Lors des élections précédentes, nous avons dénoncé les listes électorales défaillantes et nous avons demandé des listes correctes. Mais, au lieu de présenter des listes bien faites, les erreurs sont même plus nombreuses. On se demande : pourquoi ? Est-ce une planification voulue ?
· L’organisation du jour du scrutin était désastreuse. Les gens ne devraient être obligés de disposer de l’Internet ou d’un téléphone. Le seul moyen prévu par la loi électorale est la liste électorale partielle correcte, affichée au BV depuis un mois avant le jour du scrutin. En plus, plusieurs personnes qui avaient identifié leur BV par l’Internet, n’ont pas pu voter.
· Les communications par le CEP ne permettaient pas aux gens de savoir le nécessaire. Des centres avaient été délocalisés ; des habitués dans un lieu ont été envoyés ailleurs.
· Peu de gens ont compris l’opération des COV, parce que plusieurs personnes qui s’y sont rendus, ne se retrouvaient plus sur aucune liste. Est-ce que leurs noms seraient disparus du registre électoral ?
· Dans les Nippes, nous avons appris, que 125 BV ont été éliminés, suite à une épuration du registre électoral. Qui a été informé de cette opération ? Comment a-t-elle eu lieu ?
· Plusieurs partis politiques ne semblent pas croire à la tolérance et à la démocratie. De nombreux candidats s’imaginent qu’ils doivent prendre ou s’assurer du pouvoir par la violence. Ils font plus de confiance à la violence et le fraude qu’à la démocratie et le respect des personnes.
Il n’y avait aucun progrès réalisé par rapport aux élections précédentes, en plus il y avait de la manipulation du processus électoral.
Comment comprendre la position des candidats à la présidence ?
· Oui, les élections n’étaient pas organisées de façon correcte, cela signifie qu'il n’y avait aucun progrès réalisé par rapport aux élections précédentes, en plus il y avait de la manipulation du processus électoral. Mais, demander l’annulation d'une opération de vote en cours contient des risques énormes : comment les gens vont-ils entendre et comprendre l’appel et réagir ? On exhorte tout un chacun d’être lucide avant d’agir ; est-ce que les candidats ont bien analysé la situation sans trop d’émotion ?
· D’autre part, nous saluons la détermination et la volonté de la population, qui avec son bulletin de vote en main, en dépit des mauvais coups et déceptions, a continué à manifester sa volonté.
Quelques propositions :
1. Il est difficile, voire impossible, de soulever la question politique sans difficulté. Bon nombre d’acteurs politiques ne se préoccupent pas du bien du pays, mais recherchent un avantage direct ou celui d’un groupe restreint ; ils oublient le bien commun ou ce qui est nécessaire pour tous et toutes : le respect de la dignité des droits de tous et de toutes, la recherche du changement en faveur des plus pauvres et vulnérables de la société ; la croissance économique effective pour créer de meilleures conditions de vie pour tous et pour toutes. Les conditions nécessaires se résument en transparence, honnêteté et compétence.
1. 2. N’importe la décision politique à prendre concernant le processus électoral en cours, il est nécessaire qu’il y ait concertation entre le CEP, les partis politiques, des membres des organisations de la société civile, des membres du Gouvernement, pour s’assurer que le processus puisse continuer(s’il continue) dans le climat le plus honnête possible et avec plus de confiance entre les acteurs. Il est hautement temps que les acteurs mettent le pays et l’intérêt de la communauté avant toute autre préoccupation. Il n’y a qu’une seule Haïti.
1. 3. Les candidats et leaders politiques doivent prendre la distance de façon publique de toute violence faite en leur nom. En cas de refus, ils manifestent leur accord avec la violence commise, ils croient que la violence puisse leur apporter quelque avantage. Les citoyens et citoyennes doivent en prendre note et en tirer les conclusions.
Les candidats et leaders politiques doivent prendre la distance de façon publique de toute violence faite en leur nom. En cas de refus, ils manifestent leur accord avec la violence commise, ils croient que la violence puisse leur apporter quelque avantage. Les citoyens et citoyennes doivent en prendre note et en tirer les conclusions.
1. 4. La Justice et le CEP doivent prendre des sanctions et faire appliquer la loi électorale contre les candidats, personnes et partis qui ne la respectent pas, sans aucune partisannerie. L’impunité est en train de détruire notre société, parce que finalement personne ne veut rendre compte et être responsable de ses propres actes.
1. 5. Il ne sera jamais possible d’organiser des élections sérieuses dans le pays sans la mise sur pied d’un CEP permanent. Avec un CEP provisoire, l’institution n’apprend pas à faire mieux à chaque organisation d’un processus électoral. Il faut créer une tradition électorale dans le pays. Mais la création du CEP permanent passe par les élections indirectes. La Commission Justice et Paix réitère son désaccord avec les autorités qui refusent les élections indirectes en vue du CEP permanent, parce qu’elles craignent de perdre le contrôle du processus électoral. La Commission demande aux autorités, aux candidats, au CEP lui-même de prendre un engagement formel en faveur des élections indirectes et la mise sur pied du CEP permanent.
1. 6. A moyen terme nous proposons au nouveau Parlement de charger certaines dispositions de la loi électorale. Les élections sont trop considérées comme une affaire du CEP avec les partis politiques. Au contraire, les citoyens et citoyennes sont les acteurs principaux. Nous proposons que les organisations de la société civile, qui ne cherchent pas le pouvoir politique direct, aient un rôle plus actif dans l’organisation du processus électoral.
1. 7. Enfin, le pays se trouve dans une crise profonde, et les élections doivent se réaliser dans ce contexte. Ce ne sont pas les élections seules qui vont résoudre la crise. La bonne gestion d’une crise demande une volonté et un accord mutuel pour bien gérer les différends, dans le respect des autres opinions et le dialogue. C’est le seul chemin pour faire sortir le pays de cette situation difficile où il se trouve.
Pour la Commission Justice et Paix
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Half Of Electorate Denied Their Right To Vote
Originally: Rapport d’observation électorale dans les départements
Catholic Bishops' Justice and Peace Commission, 2011-01-16
Haiti Democracy Project web page item #4629 (http://www.haitipolicy.org)_____________________________________
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