mardi 25 janvier 2011

Malgré un parcours opposé, Préval menacé du même sort qu'Aristide


PORT-AU-PRINCE, 15 Janvier 

Il s'appliqua à faire un chemin tout à fait inverse de celui de son prédécesseur et mentor, Jean-Bertrand Aristide, qui fut par deux fois renversé avant la fin de son mandat, la seconde fois pratiquement enlevé par un commando militaire américain pour être débarqué en terre africaine. 
 
Aristide vit en exil en Afrique du Sud depuis l'année 2004.
 
René Préval entre pour la seconde fois au palais national de Port-au-Prince le 14 mai 2006.
 
Quoique élu grâce au support évident des masses acquises au mouvement Lavalas de son prédécesseur, ce qui lui évita d'aller à un second tour, le nouveau président manœuvra rapidement pour s'éloigner de ces dernières.
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Il eut même à dire qu'il n'avait forcé personne à voter pour lui. 
 
Tout cela pour apaiser les suspicions de ceux qui avaient envoyé en exil le créateur du mouvement Lavalas: à l'intérieur l'ancienne opposition et l'oligarchie économique.
 
A l'extérieur, les grandes capitales dominant la vie politique et économique en Haïti: en tête Washington, Paris et Ottawa.
 
Qui plus est, sous l'actuel mandat de Préval (2006-2011), le parti Fanmi Lavalas se voit refuser coup sur coup le droit d'aller aux élections. Le parti fut empêché pour des raisons peu claires de participer aux législatives de 2008, puis à nouveau aux législatives de 2010 qui, à cause du séisme du 12 janvier de la même année, ne pourront se dérouler que le 28 novembre dernier en même temps que les présidentielles (auxquelles bien entendu Fanmi Lavalas en tant que entité politique ne put prendre part).
 

 
Ligne de conduite différente …
 
Mais René Préval fit encore bien davantage pour se distinguer d'Aristide.
 
Ce dernier a été l'objet d'une multitude d'allégations dont les trois principales: violations des droits humains, corruption et trafic de drogue.
 
Deux anciens fonctionnaires de la compagnie nationale de télécommunications (TELECO) ont été jugés et condamnés récemment à Miami (Floride) pour détournements de fonds de la compagnie accomplis avec la complicité du gouvernement Aristide.
 
Des membres de la garde personnelle du président Aristide ont été appréhendés par la police anti-drogue américaine (DEA) puis condamnés en Floride à plusieurs années de prison.
 
Aristide dirigea avec le support direct de ses partisans qui appartiennent aux masses les plus déshéritées, et que ses adversaires dénomment les 'chimères' à cause de leur agressivité. D'où de nombreux accrochages. Plus nombreux que de véritables violations des droits humains à l'actif du pouvoir lui-même.
 

 
Répression contre les quartiers populaires …
 
Préval choisit pour ligne de conduite de ne jamais tomber dans aucun de ces travers. 
 
Il inaugura son nouveau quinquennat par une déclaration de guerre au trafic de la drogue. Sommet de Santo Domingo (république voisine) dont il fut le principal initiateur.
 
Poursuite de la répression contre les quartiers populaires considérés comme base de l'ex-pouvoir Lavalas et arrestation de tous les chefs de gang, ceux qui n'avaient pas trouvé la mort lors d'opérations menées par les casques bleus onusiens (Minustah).
 
Cependant c'est sur le plan économique que le changement de politique devait se manifester le plus profondément.
 

 
Politiques macro-économiques …
 
Le gouvernement Préval mit en application les yeux fermés les politiques des institutions financières internationales.
 
L'inflation, les dépenses publiques, le plafond monétaire, l'indice des prix, le calcul du salaire minimum, bref ce qu'on appelle les facteurs macro-économiques, tout fut maintenu sous un contrôle des plus rigoureux. 
 
On a encore à l'esprit le ministre des travaux publics reconnaissant que son ministère n'avait pas dépensé à la fin de la première année fiscale le cinquième du budget à sa disposition.
 
Ou la titulaire du commerce répétant que l'Etat n'a pas le droit d'interférer dans le libre jeu du marché, alors même qu'on était à la veille des émeutes de la faim d'avril 2008.
 
Les trois premières années du mandat de Préval virent donc une accélération de la misère pour les plus pauvres et de l'appauvrissement pour les classes moyennes.
 
En même temps que la production agricole continue à être négligée au profit des importations de produits agricoles, principalement des Etats-Unis et de la République dominicaine voisine.
 

 
Emeutes de la faim et conséquences …
 
Aussi quand au printemps 2008 les prix des denrées agricoles sur le marché mondial se mirent à flamber, Haïti se retrouva plus démuni que jamais.
 
Eclatèrent des manifestations anti-gouvernementales aux quatre coins du pays. 
 
Là où les gouvernants haïtiens (comme toujours) mirent trop de temps à réaliser l'ampleur des événements, l'international réagira face à la menace qui s'étend dans le reste du monde.
 
La Banque mondiale se mit à considérer pour de bon l'annulation de la dette.
 
La FAO s'intéresse à nouveau à la production agricole haïtienne. 
 
L'ONU nomme un envoyé spécial pour Haïti, l'ex-président américain Bill Clinton, pour remettre Haïti sur la route des investissements étrangers.
 

 
La lune de miel …
 
Dès lors commence une nouvelle période du mandat de Préval: celle de la lune de miel avec l'international.
 
Dès lors aussi, sur le plan interne, le président semble abandonner sa première politique de gouvernement de coalition ou de réconciliation avec l'ancienne opposition.
 
Le nouveau cabinet ministériel comprend davantage de membres qui lui sont personnellement attachés.
 
On ne compte plus les visites du président haïtien à Washington et New York (au siège des Nations Unies ou à la grand messe annuelle du Clinton Global Initiative, le gotha de la finance et des humanitaires de marque).
 
En même temps ses voyages en Amérique du Sud (Cuba, Venezuela et autres) deviennent de plus en plus espacés.
 

 
Le moins favorisé par la nature …
 
Cependant les fruits attendus de ce grand rapprochement avec le monde diplomatique et international des affaires tardent à se matérialiser comme c'est encore le cas. 
 
La situation économique ne s'est guère améliorée. Les trois premières années d'austérité, sous la coupe des gendarmes économiques mondiaux, n'ont toujours pas été compensées.
 
Les créations d'emplois attendues restent toujours sur le papier.
 
Mais, faut-il le rappeler, le mandat de René Préval fut le moins favorisé aussi par la nature.
 
En effet le pays fut frappé en 2008 par 4 ouragans ou tempêtes tropicales qui laissèrent plusieurs centaines de mort et 1 milliard de dollars de dégâts, selon la Banque mondiale.
 
Puis c'est contre toute attente le séisme du 12 janvier 2010, la plus grande catastrophe urbaine depuis la Seconde guerre mondiale, disent certains.
 
Enfin depuis la mi-octobre une épidémie de choléra qui a déjà fait près de 4.000 morts.
 
Les élections doivent être tenues coûte que coûte, maintient l'international.
 

 
Préval paie pour son bilan économique …
 
Aussitôt c'est le président sortant qui est accusé de tous les péchés d'Israël. Candidats sans autre agenda, ex-opposition en mal de revanche, tous lui tombent dessus.
 
Mais par-dessus tout Préval paie pour son bilan économique désastreux. 
 
D'abord les trois années de remède de cheval sous la dictée des institutions financières internationales.
 
Puis la Reconstruction post-séisme dont les milliards promis se révèlent être un leurre. Du moins jusqu'ici. Et n'était la légendaire courtoisie haïtienne, l'ex-président Clinton aurait pu être chahuté lors de sa dernière visite dans la capitale dévastée. 
 
Un an après le tremblement de terre, les victimes ne voient toujours rien venir.
 

 
Seul un miracle …
 
Voici donc le président qui se justifiait en disant qu'il ne sait pas faire de miracles (là aussi pour se démarquer de son -trop illustre- prédécesseur) que seul un miracle pourrait sauver à l'heure actuelle.
 
En effet, c'est celui qu'on percevait comme son principal allié, et pour lequel il semblait avoir laissé tomber tous les autres à l'intérieur (même ses alliés naturels!), en un mot c'est l'international qui se retourne aujourd'hui contre lui et semble vouloir gâcher la fin de son mandat.
 
René Préval a déjà accompli les deux uniques mandats autorisés par la Constitution haïtienne et n'a pas pu se porter candidat aux présidentielles actuelles 
 
Cependant il soutient un dauphin en la personne de Jude Célestin, le candidat arrivé deuxième dans les résultats du premier tour tels que proclamés par le conseil électoral le 7 décembre dernier.
 
Devant l'ampleur des protestations, le président fit appel à une commission de l'Organisation des Etats Américains (OEA) pour un recompte des votes.
 
Cette commission préconise le remplacement de Jude Célestin par le chanteur Michel Martelly pour affronter la favorite Mirlande Manigat.
 
Préval semble vouloir résister. L'international aurait déjà agité la menace ultime: son renversement même si cela doit mettre fin à son mandat avant l'heure et lui faire perdre le titre historique de premier président haïtien démocratiquement élu à avoir pu accomplir ses deux mandats constitutionnels jusqu'au bout.
 

 
Et si c'est Haïti qui était ingouvernable …
 
Ainsi après avoir choisi d'accomplir un parcours totalement opposé à celui de son malheureux (du moins à ce niveau-là) prédécesseur, cela pour mieux gagner les faveurs des tombeurs de ce dernier, particulièrement le trio USA - France-UE - Canada, voici que Préval se retrouve malgré tout et malgré lui presque au même point.
 
Et si c'est Haïti qui était ingouvernable étant donné les conditions fixées? Par exemple, 80% du budget national financé par l'étranger. Donc misère incontrôlable à l'intérieur, dépendance accrue à l'extérieur. 
 
Et pourtant le 28 novembre dernier il y avait plus du double des candidats qu'aux dernières présidentielles.
 
Le trio mentionné plus haut n'aura donc toujours que l'embarras du choix! 
 

 
Haïti en Marche, 15 Janvier 2011 

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