samedi 22 janvier 2011

Creoles/ Bossales- Une lutte permanante en Haiti


Ecrit par Paul Sanon ( Juin 2009)
Edite par Wilfrid Suprena


En général, les mots n'ont pas de sens propre mais des emplois. Ils sont simplement des symboles qu’on utilise arbitrairement pour exprimer des pensées, des croyances et des idées. Ils sont dynamiques, ils évoluent, se développent et sont sujets à l’obsolescence, au vieillissement ou à la métamorphose. Par exemple, à l’époque coloniale, le mot « créole » a été utilisé comme groupement social, pour classifier les esclaves noirs ayant pris naissance dans le Nouveau Monde. Tandis que le mot Bossale se référait aux autres esclaves noirs venant d’Afrique. Gérard Barthélémy dans son livre « Créole Bossales » nous a clairement démontré que dans notre histoire, il existe toujours une lutte entre la culture Créole et la culture Bossale. Puisque l'histoire est écrite par les vainqueurs, les créoles avec leur philosophie sont toujours à l'ordre du jour et les bossales avec leur propre système de valeurs ont été relégués en arrière-plan.

Fraîchement arrivés dans la colonie, les bossales d'Afrique, au fil du temps, devaient forcément subir un processus de créolisation. Pourtant, en Haïti, la vraie culture bossale qui expresse un refus catégorique contre l'esclavage et l’attitude créole n’est pas morte. Ces bossales, qui fuyaient les conditions infernales des plantations vers les inaccessibles montagnes, qui se sont regroupés et qui ont formé des sociétés apparemment égalitaires, n’ont été que rarement mentionnés dans les livres d'histoire. L’attitude bossale  est contraire à la culture créole et est manifestée dans les milieux ruraux dans leurs croyances, leur musique, leur dance, leur façon de vivre, leurs contes de fées, leur sens du devoir et d'honnêteté, leur humour,et leur altruisme. Et aujourd'hui, notre sous-développement, nos institutions, notre pauvreté, notre nombre d'expatriés, nos bidonvilles, notre bourgeoisie, et la façon dont nous traitons les uns les autres, reflètent les conflits innés entre la culture bossale et l'esprit créole.

Autour de 1789, cinq ans avant l'indépendance haïtienne, ⅔ des esclaves étaient nés en Afrique. Même si la hiérarchie de l'armée indigène était essentiellement créole, mais personne ne peut nier la contribution des Bossales dans la guerre d'indépendance. La culture bossale n'est ni un concept abstrait, ni une question scientifique, c'est une expression rebelle à l’ endroit de l'esclavage, la colonisation et ses séquelles. Comme l’enseigne le relativisme culturel, les bossales doivent être compris en terme de leur propre culture laquelle n’est point inférieure au créole. Oui, chaque culture a ses vertus et ses inconvénients, ses forces et ses faiblesses. Les vertus culturelles des bossales n’ont pas fait grand feu par la simple raison que la hiérarchie de l'armée indigène fut dans l’ensemble créole. Et si nous prenons l'histoire comme notre guide, nous découvrons que les premiers gouvernements créoles ont tout fait pour éradiquer cette culture bossale laquelle opposait la politique des grandes plantations.

Nous devons comprendre que contrairement aux créoles qui avaient des références sociales, culturelles, familiales, et matérielles en place, les bossales étaient totalement des démunis dans cet environnement infernal. Ils ont utilisé le suicide, et le marronnage comme des formes de rébellion. Contrairement aux créoles qui étaient cuisiniers, infirmiers, techniciens, superviseurs, mécaniciens, qui parlaient la langue du colon, et possédaient un lopin de terre, les Bossales travaillaient dans les champs sans un contact immédiat avec le blanc, prenaient le maquis ou rôdaient autour des plantations pour pouvoir survivre.

Après l'abolition de l'esclavage, le général français Leclerc a ordonné à son armée coloniale, composée de français, des créoles mulâtres et noirs tels que Toussaint, Dessalines, Pétion, Christophe de désarmer les cultivateurs noirs, qui étaient en grande partie des bossales. Il a fallu la nouvelle du rétablissement de l'esclavage en Guadeloupe et les perspectives d’un rétablissement du système honni de l’esclavage à Saint Domingue pour que les créoles s’associent aux bossales pour une cause commune. Nul ne peut résumer le conflit créole/bossale mieux que Thomas Madiou, le premier historien haïtien: "La majorité de ces personnes étaient africains qui ont refusé d'être dirigés par les créoles. Ils étaient en colère à cause des troupes coloniales qu'ils considèrent comme la plus cruelle des agents des troupes coloniales françaises ... ... Leurs principaux chefs après Sans Souci, Petit Noël Prieur, Jacques Tellier, Cagnet, Jasmin, Mavougou, Vamalheuz, Labruni, Cacapoule, ont été tous les grands ennemis de Christophe et Dessalines ... .. Le plan Bossale a été d’attaquer sans répit les représentants politiques et militaires de la France, de détruire les principaux officiers des troupes coloniales ... et d'établir un système qui est contraire à la nature. "(Madiou, 1989: 303)

Les héros de notre Indépendance étaient des créoles qui furent obligés de s'allier aux leaders Bossale que uniquement pour les empêcher de rejoindre les parties adverses, mais non pas par amour. Ils se sentaient supérieurs aux bossales.
Pour bien illustrer, les premiers gouvernements créoles avaient tout essayé pour reproduire, par la force, l'ancien système colonial dans lequel les bossales ont été forcés de travailler comme des serfs dans les grandes plantations. En retour, certains de ces bossales, comme au temps de l'esclavage, ont été contraints de fuir dans les montagnes et mettre en place un système qui fut purement une forme de résistance, de riposte, ou contre-attaque; un système à vision égalitaire ,primitive ,affranchi d’oppresseurs et d’opprimés.

Ces bossales ont poursuivi l'autosuffisance, la liberté et la paix. Leur descendants ont acquis un fort degré de liberté, mais les générations suivantes se sont retrouvées isolées du reste de la nation et le monde. Et jamais aucun effort n'a été fait par les gouvernements créoles pour construire des écoles, de routes, et les apporter l'électricité et technologie, etc. Comme au temps de l’esclavage, avec notre mentalité créole, nous n'avons jamais inclu les descendants des bossales dans la grande salle.
Malgré leur éthique de travail, leur sagesse, leur hospitalité, leur stoïcisme, leur altruisme et leur sens du devoir, nous préférons les isoler, les décrire en termes péjoratifs et les traiter comme des sous-hommes.
Ils travaillent généralement de l'aube au crépuscule, avec les mêmes instruments précaires pour supporter leur famille. Pour les avoir exclus dans la vie nationale, la plupart des descendants de ces bossales vivent dans une abjecte pauvreté, ou sont contraints de fuir vers les villes et les bidonvilles pour de meilleures opportunités. Cet exode rural est essentiellement bossale en essence car il n’est qu’une forme moderne de résistance contre des situations infernales. Notre mentalité créole nous prédispose à blâmer les descendants des Bossales pour la construction des bidonvilles dans les villes. Pourtant, les créoles classes dominantes devraient être blâmées pour n’avoir jamais incorporé les Bossales dans les projets de développement national. Pendant 205 ans, l'élite créole n'a jamais créé de structures et d'infrastructures qui pouvaient connecter tous les sentiers et corridors vers les autoroutes.

Nous sommes enclins à voir bossalité comme un ancien concept colonial. Toutefois, il est intemporel et incolore. Les Polonais qui faisaient partie de l'expédition française qui avaient déserté l'armée française pour s’établir dans certaines régions montagneuses d'Haïti, tels que Casale étaient aussi bossales que la première génération d'Arabes qui ont émigré en Haïti. Aussi, les Haïtiens qui ont migré vers la République dominicaine, les Bahamas, les autres petites Antilles et dans les grandes villes européennes et nord-américaines vivent comme les anciens bossales d’Afrique une existence Bossale dans le sens original du mot.

Bossalité et Creolité sont des approches philosophiques distinctes. Et en refusant d'intégrer la diaspora, les paysans et les habitants des bidonvilles, la classe prolétarienne dans la grande cour, nous faisons que perpétuer la philosophie créole de division et d'exclusion. Nous avons exclu des Antênor Firmins, des Rosalvo Bobos, une multitude de Duvaliéristes et de Lavalassiens sans prendre la nation et son avenir en considération. Encore une fois, il s'agit d'une mentalité Creole qui privilégie l’émotion, le clan, l’orgueil et l’égoïsme sur la raison bossale et son esprit altruiste et communautaire. Comme exemple, on peut mentionner qu’au Dondon, pendant de nombreuses décennies, les grands creolisés exportateurs, tels que Brandt, Madsen, Novella, Bossinius, Schomberg et Nazon ont monopolisé l'industrie caféière. L’Ironie du sort, aucun d'entre eux n’a quitté une école, une bibliothèque, un centre sportif digne de ce nom, une place publique, un aqueduct, une centrale électrique, des infrastuctures routières, sanitaires et scolaires ou un amphithéâtre pour la communauté. Ils n'ont jamais parrainé des activités communautaires et n’ont jamais offert des bourses pour les jeunes étudiants. Ils ont tout accaparé, sans rien donner en retour à la communauté. Contrairement à la bourgeoisie américaine, les nôtres n’ont pas pris en charge leur responsabilité bourgeoise.

En somme, le mot bossale qui, d’abord, a été associé aux esclaves ayant pris naissance en Afrique, a été métamorphosé en un mode de vie, une position radicale contre les situations précaires, or une forme de révolte contre le statu quo. Tandis que le mot créole qui caractérisait les esclaves noirs ayant pris naissance dans le Nouveau-monde est devenu une idéologie qui nous entraine à ne pas voir les autres comme une partie de nous, une forme d'indifférence envers ceux qu’on considère « bossales », et une apathie totale envers la nation. L'histoire d'Haïti est essentiellement un conflit entre les cultures créole et Bossale Oui, les mots n'ont pas de sens propre. Mais tant que nous nous surcréolisons nous-mêmes ou bossalisons les autres nous ne pourrons jamais atteindre la terre promise.

Luc 12:48
"On demandera beaucoup à qui l'on a beaucoup donné, et on exigera davantage de celui à qui l'on a beaucoup confié".

3 commentaires:

  1. Tant de mots pour diviser un petit peuple et faire perdurer des préjugés qui détruisent tout un peuple. Nous sommes tous des descendant de fils et filles d'Afrique.
    Nous ne sommes pas les seuls ayant été enlevés d'un continent vers un autre et formés d'autres nations sur d'autres terres. Le cas du Québec est similaire si on enlève l'horreur esclavagiste que notre peuple a subi de ces colons.
    Cette idéologie est du maître colon blanc et l'héritage d'un petit groupe, <il s'en parade et continue l'auto destruction de notre race, la race dite inférieure, la race noire, longtemps considéré étant la race de servitude. Cette idéologie desconstructive, n'est rien d'autre que de la gangrène qu'il faut extirper de notre société.
    Nous sommes un peuple, une nation.

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  2. C'est un beau travail, très instructif.

    Nous devons prendre conscience qu'il est primordial de rejeter les barrières discriminatoires et d'éliminer toute forme de ségrégation dans notre société.

    Il nous revient aujourd'hui de libérer Haïti, vers une nouvelle ère

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  3. Dr. Frantzy Coriolan
    Avant de reconstruire Haiti
    http://www.youtube.com/watch?v=z88_LQMKF2w

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