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Carte Postale : Transition de Régimes
Par Ray Killick, 9 janvier 2011
Étendard d'un idéal peut-être trop grand pour héritage, promesse d'un nouvel ordre mondial en plein ordre colonial, la jeune république d'Haïti de 1804 n'existe aujourd'hui que de nom. Loin de se fortifier à travers l'émancipation indispensable des masses, la fragile entente au berceau du rêve républicain s'est rompue pour alimenter la fissure quasi-irréparable qui fait que dans la conscience et le subconscient collectifs il y a effectivement deux nations haïtiennes dont les rapports entravent tout espoir de refondation de l'État et de renaissance nationale. Quand un pays ne gère pas ses problèmes, ceux-ci se cotisent et s'amplifient dans l'espace socio-temporel pour empoisonner le tissu social et faciliter l'imposition de solutions inadéquates aux crises nationales. Solutions étrangères, de surcroît. Aux abois, les démunis n'ont alors d'autre choix que de chevaucher la silhouette fragile d'un renouveau qui épouse la leur sur la roulette de casino que représentent les élections. Alors à quand la solution haïtienne ?
FAUSSE ROUTE
Un tremblement de terre 8,8 sur l'échelle de Richter, un sauvetage high-tech de 33 mineurs, un autre tremblement de terre 7,1 sont l'occasion pour Michèle Bachelet et son successeur de prouver au monde que le Chili est un pays où l'État est responsable et en mesure de gérer ses problèmes. Le leadership chilien coordonne les opérations de reconstruction et de sauvetage et sait évaluer l'assistance étrangère adéquate, la conjuguer avec les ressources chiliennes et l'utiliser à bon escient pour le bien-être national. Le Chili est un pays qui se respecte et démontre une âme patriotique dans un Chi Chi Chi Lé Lé Lé émouvant et mémorable.
Chez nos frères africains, le Rwanda va prouver au monde à la fin du XXème siècle qu'au faîte d'un génocide fratricide, gratuit, sans gloire et sans vainqueurs, il est toujours possible de dire: "assez, c'est assez, faisons la paix pour édifier une société pour tous. Faisons la paix pour l'avenir et travaillons ensemble, frères ennemis d'hier, pour que l'étranger ne nous impose une mission de stabilisation et un comité de reconstruction à notre détriment."
Deux pays de Sud de continent, le Chili et le Rwanda illustrent parfaitement que les peuples qui choisissent de prendre en mains leur destinée peuvent accomplir de grandes choses ensemble pour façonner une qualité de vie nationale qu'on n'obtient jamais en cadeau, surtout jamais de l'Onu, de l'OEA, ou de l'Occident capitaliste.
Par un curieux cheminement aux antipodes des visions chilienne et rwandaise de la gestion d'État, les dirigeants haïtiens, assoiffés d'enrichissement rapide et illicite, ces authentiques de la Classe, parient par leur comportement irresponsable que l'État démissionnaire est viable à perpétuité; les États-Unis, l'Union Européenne, l'Onu et l'OEA seront toujours présents au chevet d'un pays qui se suicide, d'une terre que ses propres fils ont cessé d'aimer.
Pour notre malheur, l'illusion est à son comble quand spéculations politiciennes et plans stratégiques indigènes implorent un système financier international épuisé et moribond épaulé par un appareil politique qui n'a jamais cessé de croire que la charité bien ordonnée commence par l'Occident. Elle coûte chère l'expertise étrangère que l'aide internationale se charge d'imposer aux gouvernements qui ne savent pas défendre les intérêts de leur peuple. Et pourtant, c'est ce chemin étriqué que le régime de Préval, l'opposition et une grande partie de l'intelligentsia ont emprunté.
PAS UNE QUESTION de PROFESSEUR vs. MUSICIEN
On ne redéfinit pas les règles démocratiques quand on réalise soudain qu'un candidat populaire est un musicien à réputation douteuse. Sweet Micky a tous les droits de lutter pour que la lumière soit faite sur le résultat des urnes du 28 novembre. Un véritable fiasco qui sanctionne l'échec de l'International au pays et qui devrait sonner le tocsin pour l'émergence d'une nouvelle conscience patriotique. Faut-il rappeler que le professeur Leslie Manigat beaucoup moins populaire que Micky avait justement protesté la décision d'éliminer le second tour de la présidentielle de 2006 et que madame le professeur Mirlande Manigat, sénateur élu, méprisait, par solidarité avec son mari injustement écarté, la confiance que le peuple avait placé en elle pour le représenter ?
Quelles que soient les recommandations des experts de l'OEA concernant les élections, il faut remarquer que le peuple haïtien est en train de se chercher. Il embrasse toujours pour son malheur la candidat qui s'identifie à sa cause par le verbe de malice. Personne ne peut affirmer qu'un régime Micky sera une réédition de la déception aristidienne. Personne ne peut affirmer que madame le professeur décevra au timon des affaires. On est dans le blackout total quant à la poigne et la dextérité de ces derniers à diriger la barque nationale à bon port.
La vraie question n'est pas Mirlande Manigat vs. Sweet Micky. L'électorat n'a guère des éléments de choix basés sur l'expérience de Martelly ou Manigat à la tête d'une entreprise. Il n'a alors d'autre choix que de jouer à la roulette comme toujours. Si on aime le parcours d'universitaire et d'enseignante de madame et qu'on condamne la vulgarité du chanteur, le choix est clair. Si par contre, on se retrouve dans la chanson de celui-ci et qu'on ne comprend pas le professeur, le choix est simple.
Et c'est justement là où le bât blesse. Ces candidats n'ont jamais encore formulé de solution vraiment haïtienne à la crise haïtienne. C'est-à-dire que l'optique est toujours l'aide étrangère sur laquelle on mise toute une vision de changement. On ne nous dit rien au sujet d'une approche qui consoliderait les forces du pays en vue de:
1) Commencer à relever le défi de reconstruction en partant de nos moyens.
2) Remettre en question notre manière de dialoguer avec l'étranger en précisant le genre d'aide capable de suppléer à nos moyens
3) Faire de nos ambassades étrangères de vraies moteurs de sensibilisation et de marketing pour la cause d'Haïti (écoles, agriculture, assistance technique, médicale, etc.)
4) Refonder l'État, fiscaliser le pays
5) Engager l'International sur les mesures de sécurité que nous estimons nécessaires à un climat propice pour la relance économique
6) D'ores et déjà négocier avec l'Onu le départ de la MINUSTAH après la formation d'une force haïtienne à effectif adéquat
7) Offrir des avantages à la Diaspora haïtienne pour un rapatriement accéléré
8) Encourager le secteur privé haïtien à contribuer à des oeuvres sociales (écoles, dons d'équipement, etc.)
9) etc.
C'est pour ainsi parler d'une reprise en mains de l'initiative de reconstruction par les Haïtiens. Au lieu d'espérer la manne du ciel occidental sans quoi on est paralysé, on doit commencer par une vision réaliste et des initiatives stratégiques susceptibles de nous faire prendre au sérieux au niveau international. (Pas de plan stratégiques de $100 milliards s'il vous plaît !) On ne peut tout entamer à la fois, mais on peut lancer certaines choses qui témoigneraient de notre volonté et combativité à nous sortir de ce pétrin dans lequel nous plongent des forces naturelles et les conséquences de nos inconséquences bicentenaires.
Notez bien que je ne parle pas des ressources naturelles du pays comme certains se plaisent à le faire comme si cela allait changer le sort inhumain fait au peuple haïtien. S'il est une vérité en ce bas monde, c'est bien que les richesses du sous-sol créent des familles riches, des mafias, et davantage de pauvres. L'écart entre riches et pauvres ne fait que s'accentuer dans ce contexte. Je veux parler plutôt d'un changement de culture qui, le moment opportun, permettra la gestion responsable des ressources tangibles et intangibles d'Haïti.
TRANSITION DE RÉGIMES
Quand la main qui façonne le monde avait décidé de lancer le Groupe des 184 et la rébellion qui allait pousser Aristide à plier bagages le 29 février 2004, il ne s'agissait alors d'aucune lutte de libération ou d'un nouveau contrat social mais plutôt d'un simple remue-ménage à la tête de l'État. On parachutait Gérard Latortue et la MINUSTAH dans le décor non pour une transition de régimes mais pour la mise en quarantaine d'Haïti pour des années.
Sept ans après, où en est-on avec la stabilisation ? Le régime Alexandre-Latortue a géré l'étranger de la même manière que tous les gouvernements mendiants d'Haïti l'ont fait. On se rappelle de Latortue claironnant que le Canada allait nous aider à réformer la Justice haïtienne. Il promettait aussi la sécurité après son voyage de Montréal pour exhorter nos compatriotes à revenir au pays pour investir. Par manque de leadership, ce régime n'a pas créé les conditions de changement de régimes.
C'est pour cela qu'une transition de régimes demeure toujours un impératif à ce moment précis de notre existence de peuple. Quand on parlait de transition en 2004, il fallait se demander transition pour qui ? Transition vers quoi ? Des élections ou Haïti en quarantaine ? (Notez bien que je me garde de répéter "tutelle", car il ne s'agit pas de cela.)
Sans cette transition de régimes, amis-lecteurs, il faudra se contenter que le peuple continue de jouer à la roulette jusqu'à ce qu'un leadership d'exécution parvienne au timon des affaires.
LA DERNIÈRE SAGESSE
L'une des plus grandes qualités de leadership est l'humilité. Le leader qui la possède sait écouter pour apprendre de ses subalternes. Et en apprenant, il sait éviter l'aveuglement que confère le pouvoir qui a fourvoyé ceux qui comme Aristide se croyaient révolutionnaires et grands justiciers devant l'Éternel.
Espérons que le professeur ou le musicien, s'il arrive au timon des affaires aux prochaines élections, n'aura pas le vertige du pouvoir qui aveugle. Et qu'il saura plutôt rechercher une solution haïtienne à la crise haïtienne, c'est-à-dire possible en partie avec nos moyens et la redéfinition des rapports avec l'International sur la question de l'assistance étrangère.
Espérons qu'il y a derrière les discours de campagne électorale une volonté politique réelle pour une transformation profonde de la nation, la refondation de l'État, une vraie transition de régimes.
Volonté et humilité sont les deux qualités qui distinguent le leadership du cinquième genre, c'est-à-dire le leadership de plus haut niveau. On a semblé les palper au Chili en deux occasions successives et mémorables en 2010. Du Chili...une carte postale pour Manigat et Martelly.
Le pouvoir est une responsabilité et non un héritage de droit divin. Le pouvoir doit être une confiance méritée, jamais bafouée même quand le leader est appelé à prendre des mesures impopulaires dans l'intérêt de son peuple. C'est dans l'exercice du pouvoir que le leader émerge dans toute sa plénitude, ses vraies dimensions, surtout quand il faut réconcilier deux nations; condition sine qua non pour une renaissance haïtienne. Du Rwanda...une carte postale pour Manigat et Martelly.
Quand le leader n'a pas les moyens de sa politique, il doit s'atteler à conduire la politique des moyens. Et ceci peut s'avérer le premier obstacle à franchir pour le locataire du palais écroulé si d'aventure on lui fout aux trousses un réfractaire de l'Inité à la primature, courtoisie d'une majorité parlementaire probable pour ce parti et qui jusqu'ici n'a point été remise en question. C'est dire que le poste de président demeure toujours dans le psyché du politique haïtien le seul qui importe. Voilà pourquoi je mets l'accent sur la nécessité d'une vraie transition de régimes, et non plus cosmétique comme la transition Alexandre-Latortue orchestrée pour la pax americana.
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