Par Catherine Gouëset, publié le 04/02/2011 à 09:42
Michel Martelly a estimé ce jeudi que la voix des électeurs avait été entendue, après l'annonce de sa qualification pour le second tour de l'élection présidentielle prévu le 20 mars, évoquant une "victoire pour le peuple".
REUTERS/Kena Betancur
Gros plan sur le chanteur Michel Martelly, un temps écarté du second tour de la présidentielle prévu le 20 mars prochain en Haïti, dont les partisans étaient descendus dans la rue à l'annonce de la disqualification de leur idole.
Michel Martelly, 49 ans, surnommé "Sweet Micky" ou "Têt Kalé" (en raison de son crâne chauve) était jusqu'au printemps seulement connu comme chanteur populaire. Engagé de longue date dans l'action sociale, le roi du Kompa (musique dansante de Haïti) a créé en 2008 avec sa femme une fondation d'aide aux plus démunis. Le site de la fondation reconnaît que "Sweet Micky", célèbre pour ses frasques, suscite la controverse, rapporte La Croix, comme quand il participait en travesti à un show. "La seule chose qui est prévisible à propos de Sweet Micky, c'est qu'il est complètement imprévisible", indique le portrait que fait de lui le site de sa fondation.
C'est le rejet de la candidature à la présidentielle de la star mondiale du hip-hop, Wyclef Jean en août dernier (parce qu'il ne remplissait pas la condition d'avoir vécu cinq années consécutives en Haïti), qui lui a ouvert la voie. "Têt Kalé", novice en politique, a depuis gagné la sympathie des jeunes en quête de changement, mais aussi d'une partie des milieux d'affaires, qui ont senti le vent tourner. Après une fin de campagne remarquée, il était troisième dans les sondages à la veille du premier tour, le 28 novembre.
La disqualification
A la veille du scrutin, les sondages ne lui donnaient que 14% des voix. Mais deux jours plus tard, lui et la candidate centriste Mirlande Manigat réclamaient l'annulation du scrutin, dénonçant des "fraudes", puis, à l'instar de sa rivale, il revenait sur sa décision, constatant qu'il était arrivé en tête dans les bureaux où il n'y avait pas eu de fraude: "Je veux que le Conseil électoral, le président Préval et la communauté internationale respectent le suffrage populaire", expliquait celui qui est devenu le héros du petit peuple.
Le 7 décembre, le Conseil national d'observation électorale, financé par l'Union européenne, rendait publiques des estimations donnant Mirlande Manigat en tête avec 30% des suffrages devant Michel Martelly (25%) et le candidat du pouvoir, Jude Célestin (20%). Dès lors, l'annonce, le lendemain, par le Conseil électoral de la disqualification de "Sweet Micky" pour le deuxième tour est un choc. Avec 22,48% des voix, Jude Célestin devance de moins d'un point -et moins de 7000 voix- "Têt Kalé" (21,84% des suffrages). Le chanteur a obtenu ses meilleurs résultats dans la capitale, où la popularité du président Préval s'est effondrée depuis letremblement de terre du 12 janvier 2010.
Pourtant Colin Granderson, le chef de la mission d'observation de l'Organisation des États américains (OEA), n'était pas surpris par les résultats officiels. Michel Martelly aurait commis l'erreur, le jour de l'élection, d'appeler ses partisans à boycotter le scrutin, qu'il jugeait invalide à cause de fraudes. Nombre d'entre eux seraient donc descendus dans les rues au lieu de prendre le chemin du bureau de vote.
Un politicien conservateur
Si "Sweet Micky" était un chanteur iconoclaste et provocant, "le politicien, lui, est plutôt conservateur tendance néolibérale, proche des militaires" écrit Nathalie Petrowski dans La Presse. Celle-ci l'a rencontré alors que le chanteur venait faire campagne auprès de la diaspora haïtienne au Canada.
Il se déclare proche des petites gens même s'il vit dans les beaux quartiers, possède un pied-à-terre en Floride et n'a aucun souci d'argent
"Il avoue qu'à 15 ans, il avait sa carte de tonton macoute [la milice duvalériste] pour ne pas être arrêté (...) Fils d'un technicien en pétrole, il a frôlé la délinquance, avant de trouver sa voie en musique et de devenir riche et adulé. Aujourd'hui, il se déclare proche des petites gens même s'il vit dans les beaux quartiers, possède un pied-à-terre en Floride et n'a aucun souci d'argent." L'Hebdomadaire de la diaspora haïtienne de New York Haïti Liberté(gauche) voit en lui un nostalgique de l'ancien dictateur Jean-Claude Duvalier.
Interrogé sur le retour surprise de l'ex-dictateur le16 janvier, le candidat Martelly affirmait qu'il n'avait rien à voir avec ce retour, mais approuvait ce retour : "Duvalier est Haïtien. Qu'il revienne, c'est la démocratie", a-t-il déclaré. Très oecuménique, le chanteur tenait d'ailleurs les mêmes propos sur l'autre ancien homme fort exil, Jean-Bertrand Aristide, chassé par un coup d'Etat en 2004: "Mon rêve c'est de voir tous ces anciens dirigeants tellement populaires réunis en un seul lieu pour la réconciliation nationale",déclarait-il. "Arrivé au pouvoir, j'aimerais que tous les anciens présidents deviennent mes conseillers afin de pouvoir profiter de leur expérience".
Le souvenir d'Aristide
Après l'annonce des résultats, Michel Martelly avait appelé ses partisans "à manifester sans violence... jusqu'à la victoire totale". Ceux-ci ont érigé des barrages de pneus enflammés dans la capitale et plusieurs villes de province et se sont affronté avec la police. Les heurts ont fait au moins 4 morts.
Pour sortir de l'impasse, le candidat chanteur avait proposé d'organiser une nouvelle consultation avec les 18 candidats du premier tour. Le vainqueur de ce tour unique serait devenu président, et "Têt Kalé" espèrait bien, avec la notoriété croissante que lui apporte la pression de la rue, être l'heureux élu.
Saura-til éviter de sombrer dans le populisme, une des plaies d'Haïti? "Il ressemble de loin à un l'autre leader qui a fait la pluie et le beau temps ces dernières années: Jean-Bertrand Aristide. Les deux hommes se sont cordialement détestés, mais voilà que les méthodes de gestion de la pression populaire les rapprochent, commente le quotidien haïtien Le Nouveliste. Aristide aussi a détenu une bonne partie de son pouvoir grâce à la rue".
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