Personne. Même le ministère du Commerce et de l'Industrie ne sait pas combien d'entreprises évoluant dans la vente de l'eau potable existent sur le marché. Qui fait mieux quand il s'agit du contrôle de la qualité de l'eau fournie à la population ? Un projet du ministère du Commerce concocté de concert avec le Laboratoire de Tamarinier va tenter de freiner certaines dérives dans le secteur. Haïti: Il n'existe à l'heure actuelle aucune norme pour ouvrir une entreprise de fourniture d'eau potable. On peut même se passer de l'Etat haïtien qui, selon toute vraisemblance, n'a aucun regard sur le secteur. Il est même inutile de s'adresser à la Direction du Contrôle de qualité et de la Protection du consommateur du ministère du Commerce et de l'Industrie (MCI) pour avoir la liste d'entreprises spécialisées dans la vente de l'eau potable. Seules 26 entreprises de Port-au-Prince figurent sur une liste dressée depuis 2006 par le ministère du Commerce via sa Direction du Contrôle de qualité. Parmi les entreprises répertoriées, la plupart n'ont aucune adresse, ni un numéro de téléphone. Seules deux d'entre elles avaient à l'époque une carte d'identité professionnelle (CIP). « Nous avons dû suivre des camions pour repérer l'adresse de certaines compagnies », a déclaré Michèle B. Paultre, directrice adjointe de la Direction du Contrôle de qualité du MCI. Pourtant, lors d'une tentative de régulation du secteur de l'eau potable suite à une étude gardée confidentielle, le Laboratoire vétérinaire et de contrôle de qualité de Tamarinier, communément appelé Laboratoire de Tamarinier, avait dénombré une centaine d'entreprises de vente d'eau potable rien que dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. « Des tests de laboratoire révélaient à l'époque que 80% de cette eau mise en sachets ou en bouteilles représentaient une menace pour la santé des consommateurs », a-t-on appris auprès d'un technicien de l'institution. Si quelque chose a changé depuis 2000, ce n'est pas, sans doute, pour le meilleur. Les entreprises de vente d'eau potable continuent de fonctionner sans aucun contrôle. « Tout dépend de la bonne volonté des investisseurs », a commenté Gaétan Barrau, président directeur général de la Culligan, entreprise spécialisée et leader dans la vente de l'eau potable depuis des décénies. Quelle eau buvons-nous ? Depuis l'apparition des premiers cas de choléra à la mi-octobre, la problématique de l'eau potable est sur toutes les lèvres. Seule l'eau chlorée ou bouillie est recommandée par les spécialistes ou profanes intervenant dans les médias. Au grand dam des entreprises spécialisées dans la vente de l'eau potable. « Il est injuste de placer toutes les entreprises dans le même panier », a admis un responsable du Laboratoire de Tamarinier. Le technicien n'a pas tort. Certaines entreprises, a constaté Le Nouvelliste, font de leur mieux pour ne pas mettre la vie de leurs clients en danger. Les efforts consentis par la Culligan, compagnie spécialisée dans la vente de l'eau en gallons doivent retenir l'attention. « Ici, nous traitons l'eau par le système d'osmose inverse, a affirmé Gaetan Barrau. En plus, l'eau utilisée par la compagnie est tirée à 250 pieds d'un puits situé sous la nappe phréatique. Cette eau n'est pas contaminée. » Sûr de la qualité de l'eau fournie à sa clientèle, le président directeur général de la Culligan Haïti, filiale de la Culligan internationale, a ensuite précisé que l'eau préalablement chlorée est déversée dans une citerne. « C'est la pré-filtration », a-t-il indiqué. Ajoutant : « Puis, l'eau est transférée dans la salle de filtration. Là, on y enlève les grosses particules. Les autres étapes consistent à purifier l'eau à partir du filtre à charbon, d'adoucisseur et par rayons ultraviolets ». A cause de l'adoucisseur, cette eau ne garde pas le goût du chlore détesté par une bonne partie de la population. Ce processus de traitement, a poursuivi M. Barrau, est accompagné de tests réguliers dans le laboratoire de la CAMEP et d'autres laboratoires nationaux et internationaux, pour s'assurer que notre eau ne représente aucun danger pour les consommateurs. Le nettoyage régulier des bouteilles est un autre volet important dans la tâche quotidienne des techniciens de la compagnie. Hormis la Culligan, l'Industrie locale S.A. vante la qualité de la glace et de l'eau potable mise sur le marché. « Si notre eau n'était pas de bonne qualité, l'entreprise serait déjà fermée », a répondu Léopold Sabbat à une question sur la qualité de ses produits. « N'importe qui peut, à n'importe quelle heure, venir analyser l'eau que nous mettons sur le marché », a-t-il enchaîné. | ||
Une soixantaine de camions portant le logo de l'entreprise accompagné de l'écriteau « Frechè Lokal », a déclaré M. Sabbat, font quotidiennement le va-et-vient dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince pour apporter de l'eau potable à des milliers de foyers et dans 600 kiosques. « Nous étions aussi l'un des plus importants fournisseurs d'eau potable aux ONG après le séisme du 12 janvier dernier. Trois ONG continuent de s'approvisionner ici; les autres ont dû s'arrêter faute de budget », a précisé le directeur d'Industrie local S.A., jurant que ses camions faits en stainless ont toujours été affectés à la distribution d'eau potable. « Je refuse des contrats même pour le transport d'eau chlorée », a-t-il souligné, rappelant que l'eau « Frechè lokal » est notamment traitée par la méthode d'osmose inverse. L'eau en sachet a le vent en poupe depuis des années. Un responsable de l'une des plus grandes entreprises dans le domaine qui a voulu garder l'anonymat dit produire pendant l'hiver près de 1.5 million de sachets d'eau par jour et le double en été. « C'est la preuve que la population nous fait confiance », a-t-il déclaré comme pour dire que son eau est potable. « Imaginez le nombre de personnes qui seraient déjà mortes à travers le pays si l'eau que nous mettons sur le marché n'était pas potable », a-t-il poursuivi en brandissant un cartable contenant les résultats des derniers tests réalisés sur son eau par la CAMEP et un laboratoire privé du pays. Notre interlocuteur ayant requis l'anonymat dit aussi utiliser, comme les autres compagnies, la méthode de traitement par osmose inverse. « Il n'y aucun doute sur la potabilité de l'eau que certaines entreprises mettent sur le marché, le problème c'est la chaîne de distribution que nous ne contrôlons pas », a-t-il fait remarquer en ajoutant que le grand danger aujourd'hui demeure l'insalubrité prononcée des rues. Désordre, concurrence déloyale, contrefaçon... On n'a pas besoin d'être expert dans aucune branche scientifique pour constater que les institutions chargées de contrôler la qualité de l'eau vendue à la population ont longtemps failli à leur mission. « Il y a quelques années, j'avais reçu la visite d'une délégation du ministère de la Santé publique. Rien de plus depuis lors », a indiqué le PDG d'une usine spécialisée dans la vente de l'eau en sachets. Pourtant, l'homme d'affaires dit être favorable à la régulation du secteur. Il conseille aux autorités de créer un comité avec des experts en vue d'établir les normes pour la vente de l'eau potable dans le pays. Le Conseil de direction de la Culligan est aussi favorable à la régulation du secteur de l'eau potable. Cela constitue aux yeux de Tamara Guérin Barrau, directrice administrative et financière de la compagnie, la meilleure façon de freiner la concurrence déloyale dont les entreprises légalement enregistrées sont victimes. « Nous faisons des sacrifices énormes pour offrir une eau de qualité à notre clientèle, tandis que notre marque est copiée impunément », a-t-elle déploré. Mme Barrau sait bien de quoi elle parle. Au cours de cette enquête, Le Nouvelliste a rencontré une dame qui croyait avoir acheté une bouteille de cinq gallons, d'une marque commercialisant de l'eau traitée en Haïti. Ce n'est qu'en cherchant l'inscription de l'adresse et les numéros de téléphone de la compagnie qu'elle s'est rendue compte qu'elle a été induite en erreur par l'emballage. « Les consommateurs doivent être vigilants pour ne pas se laisser duper », ont lancé les responsables de la Culligan en guise de mise en garde. Le tableau n'est pas moins alarmant dans le secteur de l'eau en sachet. « J'ai abandonné cette activité parce que j'avais, un jour, surpris des gens qui, disposant des emballages de plusieurs compagnies, les remplissaient avec de l'eau non traitée, a rapporté un autre haut responsable d'une compagnie d'eau potable sous couvert d'anonymat. Le secteur est pris d'assaut par des racketteurs. » L'absence de régulation dans le secteur de l'eau potable, a-t-il regretté, laisse le champ libre à la contrefaçon et la concurrence déloyale. Sortir la tête de l'eau Le Laboratoire de Tamarinier (sous la tutelle du ministère de l'Agriculture), de concert avec le ministère du Commerce, travaille déjà sur un projet de contrôle du secteur de l'eau potable. « Ledit projet consiste à faire des prélèvements dans tous les points de vente d'eau », a affirmé l'Agr. Ernst Saint-Fleur, responsable du département de bromatologie et de toxicologie du laboratoire. Des mesures seront adoptées, a-t-il ajouté, à l'issue du processus dont la délivrance d'un certificat aux entités jugées en règle. Et les autres devront se conformer. En attendant l'atterrissage de ce projet, un autre concocté avec le support de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a déjà démarré. « Ce projet nous permet de faire le suivi et le contrôle de la qualité de l'eau des hôpitaux et des ressources en eau de Port-au-Prince et des régions affectées par le séisme », a attesté Marguerite Vincent, microbiologiste et assistante chef de service au laboratoire. Les résultats des tests sont remis à la Dinepa et à la Commission interministérielle pour le contrôle des denrées alimentaires (CICDA) créée depuis deux ans. Un premier pas vers une longue route pour régulariser le secteur de l'eau potable où le désordre est aujourd'hui la norme. | |||||
pjerome@lenouvelliste.com Dieudonné Joachim djoachim@lenouvelliste.com |
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