Haïti : vers une solution constitutionnelle, consensuelle et haïtienne
LEMONDE.FR | 27.12.10
"Si l'on voit où les bonnes têtes ont mené la France, a écrit le comte de Mirabeau, il ne serait pas mauvais d'essayer les mauvaises." Dans le cas d'Haïti, il sied d'inverser cette citation et se dire de préférence, si l'on voit où les mauvaises têtes, incluant la Minustah, ont mené ce pays, il serait temps d'essayer les bonnes. Pari fort risqué cependant que de croire qu'après une course bicentenaire vers le quai du désastre et de la tragédie, il serait encore possible de recruter une bonne tête parmi l'élite politique et créole haïtienne. Une tête bien faite et unificatrice, capable de forger un vivre ensemble, de fédérer les énergies, les talents et l'intelligence collective autour d'un nouveau contrat social.
Pour trouver une solution constitutionnelle à la présente crise, il faut une figure politique d'envergure, susceptible d'instituer une opposition d'alternance et de gouvernement face à la constellation formée par le parti Unité. Autrement dit, la solution à la crise haïtienne suppose comme préalable un leadership fédérateur d'une opposition fragmentée et, de surcroît, terrifiée par l'idée d'affronter un adversaire coriace supposément impopulaire mais, de toute évidence, mieux organisé et craint. Qui a raflé 60 % des élus du premier tour à la chambre des députés sans susciter, paradoxe haïtien, trop de contestation. Par-delà ce paradoxe, comment expliquer le désarroi de l'opposition quant Madame Mirlande Manigat dispose d'une avance quasi-irrécupérable sur l'ennemi commun qu'est le Parti Inité ?
De l'impératif d'un leadership fédérateur de l'opposition comme préalable à une solution constitutionnelle de la crise haïtienne
"Tout le monde veut gouverner, personne ne veut être citoyen. Où est donc la cité" comme lieu du bien commun et du vivre ensemble, s'interrogea le Montagnard Louis Antoine de Saint-Just ? Tel est donc le paradoxe comportemental, fondateur de la suite ininterrompue de crises politiques haïtiennes. Telle est également l'une des causes du destin tragique imposé au peuple haïtien depuis 206 ans de gouvernance créole et depuis 6 ans de tutelle onusienne. Il y a donc lieu de se poser la question suivante : si tous les membres de l'opposition veulent se faire élire président à un hypothétique second tour de scrutin, où est donc la cité haïtienne, c'est à dire "le bien commun" et le "vivre ensemble" ? Pourtant, ceux-ci devaient l'emporter sur les divisions et ambitions présidentielles des membres de l'opposition. Ne sommes-nous pas sommés par les circonstances exceptionnelles qui sont celles d'Haïti de faire preuve de civisme, d'abnégation, de patriotisme, de désintéressement, de pragmatisme et de maturité politique ? Où est l'avatar haïtien de Nelson Mandela ou de Charles De Gaule ou encore de Thomas Jefferson ? L'opposition compte-t-elle dans ses rangs des descendants de Dessalines et de Toussaint Louverture ? Sommes-nous dignes de l'héritage de ces Titans de l'épopée de l'indépendance ? On peut en douter.
Autrement, on aurait consenti les sacrifices requis pour ériger le vivre ensemble et le bien commun en principes directeurs des actions à envisager. Une issue constitutionnelle à la crise est encore possible, pour peu que l'opposition s'y investisse. N'est-ce pas vrai que le mot crise juxtapose en chinois deux caractères, qui signifient respectivement "menaces'' et "opportunités''. La présente crise n'offre-t-elle pas une opportunité abyssale d'instituer une opposition d'alternance et de gouvernement ; et ceci, en lieu et place des groupuscules insignifiants qui polluent l'écosystème politique haïtien ? Il manque l'essentiel : une figure politique d'envergure et fédératrice.
Une opposition unifiée autour d'un leadership fédérateur ferait fondre tout avantage virtuel ou réel du parti présidentiel au second tour
L'émergence d'un leadership fédérateur de l'opposition face au parti Inité dans le cadre d'un second tour sous la codirection opérationnelle de la communauté internationale, éliminerait tout avantage virtuel ou réel dont disposerait Inité sur le terrain. Cela aurait permis à l'opposition unifiée de gagner les législatives et d'ainsi prévenir une cohabitation obligée avec son adversaire. C'est ici que le dicton chinois selon lequel "lorsque les hommes travaillent ensemble, les montagnes se changent en or", s'avère plus que pertinent. Voilà une occasion en or pour l'opposition haïtienne d'expérimenter cette citation d'Henry Ford : "se réunir est un début ; rester ensemble est un progrès ; travailler ensemble est la réussite."
La présente crise n'offre-t-elle pas l'occasion à l'opposition haïtienne de travailler ensemble contre l'ennemi commun qu'est l'Inité? Cela est d'autant plus indiqué que son poids électoral représente plus de 75 % du vote exprimé au premier tour. Que l'opposition paraphrase Ronald Reagan et se dise: "si ce n'est pas nous, c'est qui ? Et si ce n'est pas maintenant, c'est quand ?" Si ce n'est pas maintenant, ce sera trop tard pour une opposition myope et divisée. À trois au second tour, ils triplent les chances de Jude Célestin de l'emporter ; A 18, ils la décuplent. Pourtant, une opposition fédérée et unifiée aurait certainement congédié le prévalisme, une doctrine anarchopopuliste aux rendements négatifs. Du coup, une telle opposition se transformerait en une institution prééminente, capable de canaliser et d'optimiser les inputs de la communauté internationale et d'en dégager la meilleure synergie possible.
En tant que doyenne de l'opposition et meneuse au premier tour, Mirlande Manigat peut-elle s'avérer la figure fédératrice de l'opposition face à Inité au Second tour ?
La solution préconisée ci-dessus est porteuse d'un nouveau paradigme en matière de gestion de crises et de conflits en Haïti. Un paradigme axé sur le dialogue intra-haïtien, sur la quête du compromis, du consensus, de la réconciliation, du bien commun et d'un meilleur vivre ensemble. Ce serait là l'étincelle d'une dynamique vertueuse et transformationnelle. À l'instinct politique et au pragmatisme du président Préval, l'opposition doit opposer le civisme et un pragmatisme politique plus redoutable. Là encore, Saint-Just s'avère inspirant lorsqu'il dit, parlant de son temps, que "la tragédie est la politique." Selon lui, "le peuple n'a qu'un ennemi dangereux, c'est son gouvernement." En Haïti, c'est aussi l'opposition, le CEP et peut-être la Minustah. C'est ici que se pose dans toute son acuité la problématique d'un Mandela haïtien. Sans incarner le leadership requis, Mme Manigat, gagnante du premier tour, demeure une alternative en tant que doyenne de l'opposition. Pour peu que cette dernière s'affranchisse de sa myopie historique et privilégie le primat du bien commun et non de l'esprit partisan, elle peut transformer la présente crise en un pont d'or vers un meilleur avenir collectif en Haïti. A suivre.
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