samedi 25 décembre 2010
Par Leslie Péan *
Soumis à AlterPresse le 23 décembre 2010
Il faut protéger les 29 millions de dollars qu’ont coûté les élections du 28 novembre 2010. C’est un petit sacrifice que les Haïtiens doivent faire pour sauver la face à l’ordre et à la stabilité. La communauté internationale recommande avec insistance la vérification des voix, le recomptage des votes dans les urnes bourrées. N’importe qui peut voir dans le reportage du journaliste Paul Hunter de la Canadian Broadcasting Corporation (CBC) un sans-maman, la mine patibulaire, remplir une urne à Cité soleil avec plusieurs bulletins de vote [1]. De tels agissements ont eu lieu à travers le pays. À quoi sert l’insistance à vouloir compter la fraude ? À contrôler la subjectivation des Haïtiens ? À néantiser leur capacité de problématiser le litige les opposant au parti INITÉ et au CEP contrôlé par le président Préval ? Les experts de la communauté internationale semblent donc avoir pour mission de faire disparaître tous les cadavres qui sont dans le placard. Il faut faire vite avant que d’autres se mêlent de cette affaire et découvrent le rôle joué par le gouvernement Préval pour corrompre les experts étrangers, leur faire falsifier les conclusions sur l’impossibilité des élections après le tremblement de terre du 12 janvier et déclarer qu’il n’y avait aucun obstacle à l’organisation des élections. Des commissions indépendantes risqueraient de découvrir le pot aux roses et tout pourrait se défiler comme une vieille chaussette. Il faut protéger les 29 millions de dollars qu’ont coûté les élections du 28 novembre 2010. Sinon cela provoquerait des grincements aux portes. Au nom du secret d’État, il faut cacher la vérité et protéger ceux qui ont commis les infractions et les crimes. On risquerait de voir en clair tous ceux qui sont les complices dans cette mascarade électorale. Les Haïtiens vont se croire des êtres humains comme les Européens et exiger que leurs droits soient respectés.
Il faut protéger les 29 millions de dollars qu’ont coûté les élections du 28 novembre 2010. Sinon, l’apaisement et la détente recherchés ne seront pas trouvés. Les Haïtiens risquent de prendre conscience du rôle destructeur de la communauté internationale comme c’est arrivé à ce diplomate de l’Organisation des États Américains (OEA). Pour qui se prend-il ? Il a été grassement payé pour se la fermer. La communauté internationale ne peut pas se payer des fonctionnaires qui font de telles bêtises. Ce hâbleur a porté atteinte au droit sacrosaint des grandes puissances. On aurait pu lui régler son compte en l’accusant de corruption. Mais cela prendrait trop de temps. Il fallait faire vite. Le risque était trop grand qu’il déballe l’autre face de la médaille. On ne sait jamais. Ce monsieur risquerait de s’en prendre aussi au gouvernement de Préval, aux élites dirigeantes qu’il a protégées au cours des deux dernières années et qu’il protège encore en les dédouanant de leur responsabilité dans la déchéance actuelle. Car il y a bien deux larrons dans la foire d’empoigne qu’est devenue Haïti. Et Préval le ticouloute est, à bien des égards, le plus dangereux.
Il faut protéger les 29 millions de dollars qu’ont coûté les élections du 28 novembre 2010. Sinon trop de téléphones retentiront à travers le monde. Cela risque de mettre fin aux fonctionnaires aux gros ventres qui gagnent leur magot fort honnêtement en Haiti. Les Haïtiens risqueraient de mettre à nu les vrais coupables de leur misère. L’aubaine de la CIRH pourrait disparaître. Les Haïtiens vont comprendre trop de choses et on risque de remonter la filière.
Il faut protéger les 29 millions de dollars qu’ont coûté les élections du 28 novembre 2010. Sinon cela réveillera trop de gens qui sont endormis d’un profond sommeil. Il faut donc étouffer l’affaire. Le corpus du délit est là. Dans ce corpus, il y a une infinité d’imbrications. Pas seulement la communauté internationale mais aussi et surtout la mafia du président Préval qui en constitue la matrice vivante. La fraude crève les yeux.
Il faut protéger les 29 millions de dollars qu’ont coûté les élections du 28 novembre 2010. Sinon les Haïtiens risquent de juguler la saleté qui se répand dans leur pays. Les Haïtiens risquent de faire à leur tête. Cela pourrait avoir un effet foudroyant dans de nombreux pays qui veulent gérer leurs propres affaires. La communauté internationale aurait alors très peur et ne saurait plus où donner de la tête. Il faut donc tout mettre en œuvre pour soustraire les Haïtiens de l’humanité, pour qu’ils ne soient pas semblables aux autres êtres humains qui revendiquent leurs droits d’être des citoyens pour décider de leurs dirigeants.
Il faut protéger les 29 millions de dollars qu’ont coûté les élections du 28 novembre 2010. Sinon l’émotion de la communauté internationale devant les manifestations des 7 et 8 décembre risque de se transformer en inquiétude. Les masses populaires ne peuvent pas se permettre de vouloir sortir de l’exclusion en voulant voter. C’est un dangereux précédent que de leur laisser exercer leurs droits d’avoir des droits, de parler et d’agir [2]. Elles commettent des infractions et deviennent criminelles en voulant participer à la communauté politique et en voulant dire leurs mots sur la gestion de la cité. Elles doivent accepter de rester dans l’errance et d’être des morts-vivants. Des zombies. Se sa blan-di, se sak pou fèt. L’Occident a besoin de s’honorer en secourant les Haïtiens qui ont perdu leur humanité. Ces derniers ne peuvent pas prétendre vouloir changer les données au détriment d’une industrie de la charité qui ne rend de compte à personne. Il faut protéger les 29 millions de dollars qu’ont coûté les élections du 28 novembre 2010. Sinon, on dira que ce sont des gens bouchés qui ont fait les rapports des services secrets des grandes écoles d’espionnage de la communauté internationale qui prévoyaient que tout allait bien se passer. Ce serait admettre qu’ils peuvent se tromper. Comment n’ont-ils pas pu avoir des informations sur ce qui allait se passer ce foutu dimanche ? C’est bien le rôle d’un service d’intelligence d’obtenir des informations et de les valider pour pouvoir séparer les coupables des innocents. Les Haïtiens doivent donc cesser tout leur tapage pour des élections démocratiques. Il faut sauver le financement des services de renseignements qui ont été aveugles, y compris ceux de la nouvelle école d’espionnage de la communauté internationale à Oradea en Roumanie.
Il faut protéger les 29 millions de dollars qu’ont coûté les élections du 28 novembre 2010. Sinon, il arrivera en Haïti ce que la communauté internationale craint, c’est-à-dire l’arrivée d’un temps dans lequel on ne pourra plus faire avaler n’importe quoi à ceux que la communauté internationale considère comme des idiots. Il ne faut surtout pas organiser une insurrection générale car nous devons apprendre de nos aïeux qui avaient protégé les 29 millions des colons en acceptant l’esclavage. Face aux troupes armées de Napoléon Minustah, c’est sans violence que nos aïeux ont fait 1804.
Oui, oui, il faut protéger les 29 millions de dollars qu’ont coûté les élections du 28 novembre 2010. Il y va de l’ordre du monde.
* Économiste, écrivain
[2] Hanna Harendt, Les origines du totalitarisme — l’impérialisme, Paris, Fayard, 1982, p. 287.
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