samedi 13 août 2011

Vote d’un Premier Ministre désigné ou le règne de l’absurde‏


Écrit par Renald LUBERICE   
Vendredi, 12 Août 2011 16:36
Dans mon pays, Haïti, la logique a perdu son droit de cité voire sa raison d’être. L’essence de la politique s’est volatilisée. L’absurde a atteint son plus haut niveau de classification.  Désormais par elle on est gouverné. Le mot latin « regnum » (règne) prend alors ses deux principales acceptions politique et biologique. C’est le règne de l’absurde. Laissez-moi illustrer mes propos à travers le processus de ratification d’un Premier Ministre en Haïti en me basant sur la Constitution de 1987. 

Il est en effet devenu courant en Haïti, depuis plus d’une vingtaine d’année, qu’un citoyen ou une citoyenne avant de devenir Premier Ministre fasse l’objet de deux sanctions de la part des parlementaires. La première est le vote de sa nomination et la seconde un vote de confiance sur sa déclaration de politique générale. Mais pourquoi deux sanctions consécutives ?

Si la Constitution stipule à la section D, article 158 que le Premier Ministre choisi doit se présenter « devant le parlement afin d’obtenir un vote de confiance sur sa déclaration de politique générale », il n’est jamais question pour les parlementaires d’analyser les pièces du Premier Ministre désigné ou de statuer sur son dossier. L’évocation de l’article 157 par des Parlementaires en vue de légitimer leur prétention de voter la désignation d’un Premier Ministre est un leurre. L’acceptation par le peuple haïtien de ce leurre est révélateur de l’incontestable règne de l’absurde dans ce pays.

En fait, des Administrations des Sections Communales à la présidence de la République, passant par l’autre branche du pouvoir exécutif (le Gouvernement) la Constitution prend le soin de préciser les critères d’éligibilité. Il n’est jamais venu à l’idée des parlementaires de former des commissions en vue de statuer sur les dossiers d’un candidat au Sénat, à l’administration des communes ou autre. Or les articles 79 ; 91 ; 96 ; 135 ; 157 ; etc. remplissent la même fonction : préciser les critères d’éligibilités des personnes concernées. Il n’est nullement besoin ni souhaitable que les parlementaires aient à statuer sur une telle question.

Il est par ailleurs absurde de procéder à un vote pour savoir si un individu est haïtien d’origine, n’a pas renoncé à sa nationalité, a 30 ans, etc. Seuls les documents d’Etat civil font foi. S’il faut les analyser ce sont les services des autorités désignant l’individu qui doivent le faire. Autrement dit avant de désigner une personne la présidence doit s’assurer de l’authenticité de ses documents d’Etat Civil et qu’elle répond au critères d’éligibilité. Ne vient-on pas de mettre plus de trois mois à se demander si les personnes désignées sont haïtiennes d’origine et patati patata…!

Les femmes et les hommes de ce pays doivent recouvrer leur humanité en dessouchant l’absurde du pouvoir. En réalité dans un océan de malheurs, point n’est besoin de mettre en exergue un en particulier. Puisqu’on aura l’impression qu’il n’y a pas de changement réel. C’est ainsi que le signifiant devient insignifiant. Parce qu’on a le sentiment d’avoir connu pire, parce que l’absurdité nous est déjà familière on devient tous amorphes. Plus rien ne nous révolte. Ce parlement est aujourd’hui l’institution même de l’absurde où tout et n’importe quoi peut se dire et/ou se faire. Les faibles voix de ce corps qui auraient pu crier : « que cesse l’absurde ! » sont inaudibles. Parce que dans cette assemblée nationale celui qui a raison est celui qui crie plus fort.

Le vote comme méthode de prise de décision est maintenant utilisée pour savoir si un individu est haïtien, s’il a plus de trente ans, etc. Qu’est ce que cela veut dire au juste ? Voter pour savoir si je suis haïtien c’est placer l’intuition du votant au-dessus de l’acte administratif de l’Etat qui m’a reconnu entant qu’Haïtien. C’est tourner l’Etat en dérision. Cette action des parlementaires entant qu’organe de l’Etat constitue une mise en doute de l’Etat lui-même. Parce que l’Etat n’existe qu’à travers ses actes administratifs, politiques et sa capacité à monopoliser un certain nombre de champ d’activités, lorsque ses actes sont mis en doute par ses propres organes on est dans un processus d’autodestruction. Voter après une analyse des documents administratifs émis par l’Etat pour la désignation d’un Premier Ministre est constitutionnellement absurde, politiquement stupide. Une telle procédure ne peut avoir pour guide que l’ignorance, pour boussole la rapacité.

La véritable signification politique du rejet d’une personne choisie par le Président de la République et le Président des deux chambres est la mise en cause de la légitimité des présidents de ces chambres.

En effet, ces Présidents ont été élus par la majorité des chambres. Ils en sont les représentants. Vu que son mandat n’est pas impératif, il a la latitude de prise de décisions au nom de ces mandants. Une fois qu’une personne aura été choisie par ces présidents, elle doit avoir automatiquement l’avale d’au moins la majorité des chambres. Si elle ne l’a pas cela veut dire que le président n’a plus la légitimité en vue de représenter la chambre car le choix qu’il a fait en son nom a été mauvais. Il est politiquement incapable. Dans ce cas-là, il doit démissionner en vue de l’élection d’une personne légitime, apte a prendre des décisions au nom des mandants.
Bref, accepter l’absurde au pouvoir, lui attribuer ses lettres de noblesses est pousser un peu plus Haïti chérie vers la descente aux enfers.

Renald Lubérice,
Belladère, Haïti

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