lundi 27 décembre 2010

UNE INTERVIEW QUI DERANGE - A VERY DISTURBING INTERVIEW

      Ricardo Setenfus



   Brazilian Ricardo Seitenfus headed the Organisation of American States (OAS) mission in Haiti since 2008.  In an interview with the Swiss newpaper "Le Temps," he critized the International Community's catastrophic approach in Haiti.  He was promptly relieved of his function because he made the participants in Haiti's mess very uncomfortable.  An English version of the controversial interview follows the original French version.  we are eagerly looking forward for your commentaries.
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entretien lundi20 décembre 2010
«Haïti est la preuve de l’échec de l’aide internationale»
Arnaud Robert
Ricardo Seitenfus: «Pour rester ici, et ne pas être terrassé par ce que je vois, j’ai dû me créer un certain nombre de défenses psychologiques.» (Paolo Woods)

Diplômé de l’Institut de hautes études internationales de Genève, le Brésilien Ricardo Seitenfus a 62 ans. Depuis 2008, il représente l’Organisation des Etats américains en Haïti. Il dresse un véritable réquisitoire contre la présence internationale dans le pays
Le Temps: Dix mille Casques bleus en Haïti. A votre sens, une présence contre-productive…
Ricardo Seitenfus: Le système de prévention des litiges dans le cadre du système onusien n’est pas adapté au contexte haïtien. Haïti n’est pas une menace internationale. Nous ne sommes pas en situation de guerre civile. Haïti n’est ni l’Irak ni l’Afghanistan. Et pourtant le Conseil de sécurité, puisqu’il manque d’alternative, a imposé des Casques bleus depuis 2004, après le départ du <span>président Aristide. </span>Depuis 1990, nous en sommes ici à notre huitième mission onusienne. Haïti vit depuis 1986 et le départ de <span>Jean-Claude Duvalier</span> ce que j’appelle un conflit de basse intensité. Nous sommes confrontés à des luttes pour le pouvoir entre des acteurs politiques qui ne respectent pas le jeu démocratique. Mais il me semble qu’Haïti, sur la scène internationale, paie essentiellement sa grande proximité avec les Etats-Unis. Haïti a été l’objet d’une attention négative de la part du système international. Il s’agissait pour l’ONU de geler le pouvoir et de transformer les Haïtiens en prisonniers de leur propre île. L’angoisse des boat people explique pour beaucoup les décisions de l’international vis-à-vis d’Haïti. On veut à tout prix qu’ils restent chez eux.
– Qu’est-ce qui empêche la normalisation du cas haïtien?
– Pendant deux cents ans, la présence de troupes étrangères a alterné avec celle de dictateurs. C’est la force qui définit les relations internationales avec Haïti et jamais le dialogue. Le péché originel d’Haïti, sur la scène mondiale, c’est sa libération. Les Haïtiens commettent l’inacceptable en 1804: un crime de lèse-majesté pour un monde inquiet. L’Occident est alors un monde colonialiste, esclavagiste et raciste qui base sa richesse sur l’exploitation des terres conquises. Donc, le modèle révolutionnaire haïtien fait peur aux grandes puissances. Les Etats-Unis ne reconnaissent l’indépendance d’Haïti qu’en 1865. Et la France exige le paiement d’une rançon pour accepter cette libération. Dès le départ, l’indépendance est compromise et le développement du pays entravé. Le monde n’a jamais su comment traiter Haïti, alors il a fini par l’ignorer. Ont commencé deux cents ans de solitude sur la scène internationale. Aujourd’hui, <span>l’ONU applique aveuglément le chapitre 7 de sa charte,</span> elle déploie ses troupes pour imposer son opération de paix. On ne résout rien, on empire. On veut faire d’Haïti un pays capitaliste, une plate-forme d’exportation pour le marché américain, c’est absurde. Haïti doit revenir à ce qu’il est, c’est-à-dire un pays essentiellement agricole encore fondamentalement imprégné de droit coutumier. Le pays est sans cesse décrit sous l’angle de sa violence. Mais, sans Etat, le niveau de violence n’atteint pourtant qu’une fraction de celle des pays d’Amérique latine. Il existe des éléments dans cette société qui ont pu empêcher que la violence se répande sans mesure.
– N’est-ce pas une démission de voir en Haïti une nation inassimilable, dont le seul horizon est le retour à des valeurs traditionnelles?
– Il existe une partie d’Haïti qui est moderne, urbaine et tournée vers l’étranger. On estime à 4 millions le nombre de Haïtiens qui vivent en dehors de leurs frontières. C’est un pays ouvert au monde. Je ne rêve pas d’un retour au XVIe siècle, à une société agraire. Mais Haïti vit sous l’influence de l’international, des ONG, de la charité universelle. Plus de 90% du système éducatif et de la santé sont en mains privées. Le pays ne dispose pas de ressources publiques pour pouvoir faire fonctionner d’une manière minimale un système étatique. L’ONU échoue à tenir compte des traits culturels. Résumer Haïti à une opération de paix, c’est faire l’économie des véritables défis qui se présentent au pays. Le problème est socio-économique. Quand le taux de chômage atteint 80%, il est insupportable de déployer une mission de stabilisation. Il n’y a rien à stabiliser et tout à bâtir.
– Haïti est un des pays les plus aidés du monde et pourtant la situation n’a fait que se détériorer depuis vingt-cinq ans. Pourquoi?
– L’aide d’urgence est efficace. Mais lorsqu’elle devient structurelle, lorsqu’elle se substitue à l’Etat dans toutes ses missions, on aboutit à une déresponsabilisation collective. S’il existe une preuve de l’échec de l’aide internationale, c’est Haïti. Le pays en est devenu la Mecque. Le séisme du 12 janvier, puis l’épidémie de choléra ne font qu’accentuer ce phénomène. La communauté internationale a le sentiment de devoir refaire chaque jour ce qu’elle a terminé la veille. La fatigue d’Haïti commence à poindre. Cette petite nation doit surprendre la conscience universelle avec des catastrophes de plus en plus énormes. J’avais l’espoir que, dans la détresse du 12 janvier, le monde allait comprendre qu’il avait fait fausse route avec Haïti. Malheureusement, on a renforcé la même politique. Au lieu de faire un bilan, on a envoyé davantage de soldats. Il faut construire des routes, élever des barrages, participer à l’organisation de l’Etat, au système judiciaire. L’ONU dit qu’elle n’a pas de mandat pour cela. Son mandat en Haïti, c’est de maintenir la paix du cimetière.
– Quel rôle jouent les ONG dans cette faillite?
– A partir du séisme, Haïti est devenu un carrefour incontournable. Pour les ONG transnationales, Haïti s’est transformé en un lieu de passage forcé. Je dirais même pire que cela: de formation professionnelle. L’âge des coopérants qui sont arrivés après le séisme est très bas; ils débarquent en Haïti sans aucune expérience. Et Haïti, je peux vous le dire, ne convient pas aux amateurs. Après le 12 janvier, à cause du recrutement massif, la qualité professionnelle a beaucoup baissé. Il existe une relation maléfique ou perverse entre la force des ONG et la faiblesse de l’Etat haïtien. Certaines ONG n’existent qu’à cause du malheur haïtien.
– Quelles erreurs ont été commises après le séisme?
– Face à l’importation massive de biens de consommation pour nourrir les sans-abri, la situation de l’agriculture haïtienne s’est encore péjorée. Le pays offre un champ libre à toutes les expériences humanitaires. Il est inacceptable du point de vue moral de considérer Haïti comme un laboratoire. La reconstruction d’Haïti et la promesse que nous faisons miroiter de 11 milliards de dollars attisent les convoitises. Il semble qu’une foule de gens viennent en Haïti, non pas pour Haïti, mais pour faire des affaires. Pour moi qui suis Américain, c’est une honte, une offense à notre conscience. Un exemple: celui des médecins haïtiens que Cuba forme. Plus de 500 ont été instruits à La Havane. Près de la moitié d’entre eux, alors qu’ils devraient être en Haïti, travaillent aujourd’hui aux Etats-Unis, au Canada ou en France. La révolution cubaine est en train de financer la formation de ressources humaines pour ses voisins capitalistes…
– On décrit sans cesse Haïti comme la marge du monde, vous ressentez plutôt le pays comme un concentré de notre monde contemporain…
– C’est le concentré de nos drames et des échecs de la solidarité internationale. Nous ne sommes pas à la hauteur du défi. La presse mondiale vient en Haïti et décrit le chaos. La réaction de l’opinion publique ne se fait pas attendre. Pour elle, Haïti est un des pires pays du monde. Il faut aller vers la culture haïtienne, il faut aller vers le terroir. Je crois qu’il y a trop de médecins au chevet du malade et la majorité de ces médecins sont des économistes. Or, en Haïti, il faut des anthropologues, des sociologues, des historiens, des politologues et même des théologiens. Haïti est trop complexe pour des gens qui sont pressés; les coopérants sont pressés. Personne ne prend le temps ni n’a le goût de tenter de comprendre ce que je pourrais appeler l’âme haïtienne. Les Haïtiens l’ont bien saisi, qui nous considèrent, nous la communauté internationale, comme une vache à traire. Ils veulent tirer profit de cette présence et ils le font avec une maestria extraordinaire. Si les Haïtiens nous considèrent seulement par l’argent que nous apportons, c’est parce que nous nous sommes présentés comme cela.
– Au-delà du constat d’échec, quelles solutions proposez-vous?
– Dans deux mois, j’aurai terminé une mission de deux ans en Haïti. Pour rester ici, et ne pas être terrassé par ce que je vois, j’ai dû me créer un certain nombre de défenses psychologiques. Je voulais rester une voix indépendante malgré le poids de l’organisation que je représente. J’ai tenu parce que je voulais exprimer mes doutes profonds et dire au monde que cela suffit. Cela suffit de jouer avec Haïti. Le 12 janvier m’a appris qu’il existe un potentiel de solidarité extraordinaire dans le monde. Même s’il ne faut pas oublier que, dans les premiers jours, ce sont les Haïtiens tout seuls, les mains nues, qui ont tenté de sauver leurs proches. La compassion a été très importante dans l’urgence. Mais la charité ne peut pas être le moteur des relations internationales. Ce sont l’autonomie, la souveraineté, le commerce équitable, le respect d’autrui qui devraient l’être. Nous devons penser simultanément à offrir des opportunités d’exportation pour Haïti mais aussi protéger cette agriculture familiale qui est essentielle pour le pays. Haïti est le dernier paradis des Caraïbes encore inexploité pour le tourisme, avec 1700 kilomètres de côtes vierges; nous devons favoriser un tourisme culturel et éviter de paver la route à un nouvel eldorado du tourisme de masse. Les leçons que nous donnons sont inefficaces depuis trop longtemps. La reconstruction et l’accompagnement d’une société si riche sont une des dernières grandes aventures humaines. Il y a 200 ans, Haïti a illuminé l’histoire de l’humanité et celle des droits humains. Il faut maintenant laisser une chance aux Haïtiens de confirmer leur vision.
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Monday, 27 December 2010

Monday December 20, 2010
"Haiti is proof of the failure of international aid"
Arnaud Robert
Ricardo Seitenfus: "To stay here and not be overwhelmed by what I see, I had to create a number of psychological defenses." (Paolo Woods)

Graduate Institute of International Studies in Geneva, the Brazilian Ricardo Seitenfus 62. Since 2008, he represented the Organization of American States in Haiti. It provides a real indictment against the international presence in the country
The Time: Ten thousand peacekeepers in Haiti. In your view, a productive presence?
Ricardo Seitenfus : The system of dispute prevention within the UN system is not adapted to the Haitian context. Haiti is not an international threat. We are not experiencing civil war. Haiti is not Iraq or Afghanistan. And yet the Security Council, since lack of alternative, imposed peacekeepers since 2004 after the departure of <span>President Aristide.</span> Since 1990, we are here in our eighth UN mission. Haiti since 1986 and saw the departure of <span>Jean-Claude Duvalier's</span> what I call a low intensity conflict. We are faced with struggles for power among political actors who do not respect the democratic game. But it seems to me that Haiti, the international arena, essentially paying its proximity to the United States. Haiti has been the subject of negative attention from the international system. It was for the UN to freeze the power and transform the Haitian prisoners in their own island. The Anguish of boat people largely explain the decisions of international vis-à-vis Haiti. We want at any price they stay home.
- What prevents the normalization of the Haitian case?
- For two hundred years, the presence of foreign troops has alternated with that of dictators. It is the force that defines international relations with Haiti and never dialogue. The original sin of Haiti, on the world stage is his release. Haitians commit unacceptable in 1804: a crime of lese-majeste for a troubled world. The West was then a world of colonialism, slavery and racist base its wealth on the exploitation of conquered lands. So the Haitian revolutionary model scares superpowers. The United States does not recognize Haiti's independence in 1865. And France requires payment of a ransom to accept this release. From the beginning, independence is compromised and hampered the development of the country. The world has never known how to deal with Haiti, so he ended up ignoring it. Began two hundred years of solitude on the international stage. Today, <span>the UN has blindly Chapter 7 of its charter,</span> it deploys its troops to impose its peace operation. It solves nothing, is worse. We want to make Haiti a capitalist country, an export platform for U.S. market is absurd. Haiti must return to what it is, that is to say, a predominantly agricultural country still fundamentally imbued customary law. The country is continually described in terms of its violence. But without a state, the level of violence reaches yet a fraction of that of Latin America. There are elements in this society that have prevented the violence from spreading beyond measure.
Is not a resignation to see a nation unassimilable in Haiti, whose only horizon is a return to traditional values?
- There is a part of Haiti that is modern, urban and touring abroad. An estimated 4 million the number of Haitians who live outside their borders. This is an open country in the world. I do not dream of returning to the sixteenth century, an agrarian society. Haiti but lives under the influence of international NGOs, charity universal. Over 90% of education and health are in private hands. The country has no public resources to be able to operate in a minimal state system. The UN fails to take account of cultural traits. Summarize in Haiti peace operation is to make the economy the real challenges facing the country. The problem is socio-economic development. When the unemployment rate reached 80%, it is unbearable to deploy a stabilization mission. There is nothing to stabilize and build everything.
- Haiti is one of the most subsidized in the world and yet the situation has only deteriorated over the past twenty-five years. Why?
- Emergency aid is effective. But when it becomes structural when it replaces the state in all its missions, it leads to a collective lack of responsibility. If there is evidence of the failure of international aid, is Haiti. The country became a Mecca. The earthquake of 12 January and the cholera epidemic only accentuate this phenomenon. The international community has the feeling of having to repeat every day that it ended the previous day. Fatigue of Haiti begins to emerge. This small nation has surprised the world conscience to disasters increasingly huge. I hope that in the plight of 12 January, the world would understand that he had gone wrong with Haiti. Unfortunately, it has reinforced the same policy. Instead of taking stock, we sent more soldiers. We must build roads, erect dams, participate in the organization of the State, the judicial system. The UN says it has no mandate for that. Its mandate in Haiti is to keep the peace of the cemetery.
- What role do NGOs play in this bankruptcy?
- Since the earthquake, Haiti has become a crossroad. For transnational NGOs, Haiti has become a place of forced passage. I would say even worse than that of training. The age of cooperating who arrived after the earthquake is very low, they landed in Haiti without any experience. And Haiti, I can tell you, is not suitable for amateurs. After Jan. 12, because of massive recruitment, the professional quality has declined significantly. There is an evil or perverse relationship between the strength of NGOs and the weakness of the Haitian State. Some NGOs exist only because of the misfortune of Haiti.
- What mistakes were made after the earthquake?
- Faced with the massive importation of consumer goods to feed the homeless, the situation of Haitian agriculture has yet péjorée. The country offers a free field to all humanitarian experiences. It is unacceptable from the moral standpoint to consider Haiti as a laboratory. Reconstruction of Haiti and the promise that we hold the promise of $ 11 billion inflame lust. It seems that a lot of people come to Haiti, not in Haiti but to do business. For me American is a disgrace, an affront to our conscience. An example: the Haitian doctors that Cuba shape. More than 500 have been educated in Havana. Nearly half of them, then they should be in Haiti, working today in the United States, Canada or France. The Cuban revolution is currently financing the training of human resources for its capitalist neighbors ...
- We constantly described Haiti as the margin of the world, you feel rather the country as a concentrate of our contemporary world ...
- It's concentrate our tragedies and failures of international solidarity. We do not rise to the challenge. The world press has described in Haiti and chaos. The reaction of public opinion is not expected. For her, Haiti is one of the worst countries in the world. We must go to the Haitian culture, we must go to the land. I think there are too many doctors at the bedside and the majority of these doctors are economists. But in Haiti, we need anthropologists, sociologists, historians, political scientists and even theologians. Haiti is too complex for people who are pressed, cooperatives are in a hurry. Nobody takes the time nor the taste has to try to understand what I might call the soul of Haiti. Haitians have seized property, which we believe, we the international community as a milking cow. They want to take advantage of their presence and they do so with extraordinary mastery. If we consider only the Haitians by the money we make is that we went that way.
- Beyond the admission of failure, what solutions do you offer?
- In two months, I completed a two-year mission in Haiti. To stay here and not be overwhelmed by what I see, I had to create a number of psychological defenses. I wanted to remain an independent voice despite the weight of the organization I represent. I kept because I wanted to express my profound doubts and tell the world that is enough. This is enough to play with Haiti. January 12, taught me that there is tremendous potential for solidarity in the world. Even if we should not forget that in the early days, it is the Haitians themselves, bare hands, who tried to save their loved ones. Compassion has been very important in an emergency. But charity can not be the driving force in international relations. These are autonomy, sovereignty, fair trade, respect for others should be. We need to think simultaneously providing export opportunities for Haiti but also protect the family farm which is essential for the country. Haiti is the last untapped Caribbean paradise for tourism, with 1700 kilometers of pristine coastline and we need to encourage cultural tourism and avoid paving the way for a new Eldorado of mass tourism. The lessons we give are ineffective for too long. Reconstruction and the accompaniment of a rich society is one of the last great human adventure. 200 years ago, Haiti has illuminated the history of mankind and the human rights. We now let a chance for Haitians to confirm their vision.


Ricardo Setenfus

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