lundi 20 décembre 2010

À l'abîme des chemins

À l'abîme des chemins



Haïti: Si les élections du 28 novembre ont confirmé une chose, c'est la délinquance complète des institutions de notre pays, délinquance reflétant la corruption généralisée d'une société qui fait du sauve-qui-peut individuel le seul crédo possible. Le Conseil électoral provisoire, principal responsable de ce gâchis, a été formé avec des « personnalités » recommandées par des institutions. La légèreté avec laquelle ces choix sont en général effectués frise soit l'inconscience soit la démence, à moins que ces choix n'impliquent en secret des remises de service sous différentes formes. Quand on est dans une société où la seule morale est celle du portefeuille, tout devient possible.

L'autre chose encore plus importante que révèlent, disons que confirment ces élections et cela on refuse d'en parler sur la place publique c'est cette conception malsaine du pouvoir qu'on a en Haïti et qu'on partage aussi malheureusement avec d'autres sociétés dans un autre continent. Cette conception malsaine du pouvoir vient se greffer sur ce mépris de la population qui est le nôtre, ce mépris qu'un ami à moi, mort aujourd'hui, ancien maire de Port-au-Prince, André Juste, appelait le syndrome Affranchi. Sa thèse est que, pour des raisons psychologiques et à la limite psychiatriques, les Affranchis tenaient la masse des anciens esclaves noirs dans une haine d'autant plus profonde qu'ils avaient avec eux un lien de sang. Il fallait non seulement les exclure, mais surtout ne pas les voir. Il fallait qu'ils deviennent inexistants. Si on va au bout de cette logique, on comprendra pourquoi tous les projets présentés dont la population peut être directement bénéficiaire sont si difficiles à concevoir, voire à être implémentés.  
 





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 Quand l'espace politique devient le lieu principal d'enrichissement parce que à la fois porte d'entrée principale de l'aide et lieu de régulation maffieuse de l'activité économique, on comprend que l'équipe joue des pieds et des mains pour ne pas laisser la place à d'autres qui, quelque part, ne vont que continuer le système. En cas de crise, on peut accepter un changement purement cosmétique à la tête de l'Etat sauf que cela draine toujours une nuée d'affamés dont la thèse est qu'après avoir bouffé pendant une dizaine d'années, il faut céder la place aux autres. La gourmandise est un péché. Le partage une qualité quand on vous le refuse.

Dans cet espace glauque confirmé par les élections du 28 novembre, on comprend de plus en plus l'implication des Nations-unies dans le drame haïtien. Certes, sans la Minustah, à un certain moment, le climat sécuritaire aurait dégénéré, mais il se serait certainement stabilisé dans le cours des luttes sociales normales dans une société. La présence des Nations-unies quelque part renforce l'exclusion et la corruption, car le mode de fonctionnement de cette institution ne peut que favoriser les élites au pouvoir. Ce qui, dans le cas bien particulier d'Haïti, ne peut qu'enfoncer davantage le pays dans l'abîme. Enfoncé dans leurs bureaux climatisés, les ventres-pleins du gouvernement et de la communauté internationale ne comprennent pas que le niveau de conscience de la population a augmenté de manière exponentielle et que celle de notre élite politique au niveau du cancre notoire. La preuve, ces millions de dollars dépensés pour une campagne électorale et des élections qui devraient aboutir à un changement de personnel satisfaisant pour le gouvernement en place et les Nations-unies. La population s'est servie royalement avec l'argent qui, de toute manière, lui appartenait, et puis, elle en a décidé autrement. On peut bien se gausser de son choix, mais au vu de ce qui a été produit au cours de ces derniers mois comme cette affaire de pollution assassine du fleuve Artibonite, elle ne paraît pas aussi débile qu'on veuille le faire croire. Elle veut éjecter les nuls qui lui construisent sûrement un avenir de cauchemar. Elle sait très bien que rien ne lui garantit le succès de son choix. Elle a tout vu avec ces vagabonds en cravate, comme on aime le dire dans les rues. Après on verra !

Mais c'est affolant d'en être là. Après on verra ! Il se peut même qu'il n'y ait même pas d'après on verra ! Comme ce qui vient de se passer remet en question une pratique de corruption, il faut à tout prix remettre de l'ordre dans les choses. Le gouvernement, les cadres au pouvoir et les Nations-unies y ont intérêt. La fraude peut être légalisée et madame Manigat, alors, aura moins de temps à rêver que son mari en 1988, car, chemin dégagé, elle fera certainement les frais d'une percée louverturienne de Jude Célestin.
À l'abîme des chemins !
 
 Gary Victor

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