lundi 26 septembre 2011

CONILLE:EST-IL UN RESIDENT HAITIEN?


Garry Conille
Le choix de Garry Conille comme premier ministre désigné par le président de la république fait couler beaucoup d’encre et suscite pas mal de débats à travers différents secteurs de la vie nationale.
Ces débats portent surtout sur l'article 157 régissant les conditions d’admissibilité au poste de Premier ministre en Haïti. Et particulièrement, sur la condition numéro 5 stipulant qu’il faut : « résider dans le pays depuis cinq (5) années consécutives ».
Pour certains, le choix de Garry Conille est un acte malheureux, puisque de par sa stature de haut fonctionnaire de l’ONU, il ne saurait être désigné Premier Ministre; n’ayant pas de ce fait, résidé dans le pays, de façon consécutive, au cours des  cinq dernières années. Dans ce sens, l’ancienne candidate à la présidence, madame Mirlande Manigat intègre dans ce débat, la notion d’exterritorialité. S’appuyant sur ce principe découlant du droit international public, la constitutionnaliste écarte d’emblée le statut d’agent diplomatique, du premier ministre désigné, qui aurait pu lui faire bénéficier ipso facto de ce principe du droit international.(**)
Pour d’autres, en tant que haut fonctionnaire de l’ONU, dont Haïti est membre fondateur, il n’existe aucun doute que Garry Conille jouit encore de son statut de résident en Haïti. Puisque, arguent-ils, le Dr Conille en tant que ressortissant Haïtien, paie de l’impôt à l’ONU, en réduction de la cotisation annuelle d’Haïti au financement de  cet organisme.(**)
Mais avant de poursuivre, disons cependant que le but de cet exercice n’est pas de déterminer si le Dr Garry Conille est le bon choix entant que premier ministre, mais plutôt d’apporter des éléments très  clairs, s’appuyant sur la règle de droit et les coutumes en matière de diplomatie, afin d’avoir une meilleure appréciation de la notion de résidence dans la situation particulière de M. Conille.
Tout d’abord, avant même de discuter des fondements de ces questions, nous nous proposons de retracer le parcours de Garry Conille au cours des 5 dernières années : période de référence pour la résidence.
De janvier 2006 à décembre 2006, Garry Conille est conseiller technique dans le projet Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) des Nations Unies sous la supervision du Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies.*
En janvier 2007, il est le conseiller technique principal pour la région Afrique, puis coordonnateur du Programme Mondial pour la Sécurisation des Intrants en Santé de la Reproduction (FNUAP).*
A partir de septembre 2008 jusqu'à son implication dans le dossier Haïti en mars 2010, Garry Conille est Chef d'Équipe de l'Unité des OMD au PNUD. L'Unité OMD fait partie du Bureau de politiques de développement du PNUD.*
En mars 2010, il est le représentant en Haïti de l’Envoyé spécial du Secrétaire Général de l’ONU en Haïti oü il assume les fonctions de Chef de bureau. C’est dans ce cadre qu’on le retrouve au sein de la CIRH après le séisme du 12 janvier,  oü il travailla en étroite collaboration avec le gouvernement haïtien afin d’élaborer et de mettre en oeuvre le plan stratégique pour la reconstruction d'Haïti. Depuis juin 2011, il est Résident Coordonnateur du PNUD et Coordonnateur Humanitaire au Niger. *
Mais qu’en est-il vraiment de la résidence d’un haut fonctionnaire de l’ONU ? Dans quelle condition peut-on acquérir les avantages et privilèges de l’Agent diplomatique ?
De façon générale, la résidence est la principale demeure de la personne physique ou morale. Elle a cependant de multiples définitions selon qu’on l’analyse sous l’angle social, économique, fiscal ou juridique. Au niveau fiscal, il est généralement admis dans la plupart des pays, que la résidence est le pays oü l’individu établit ses principales activités et/ou, oü il passe plus de 180 jours dans l’année. Il s’agit ici de la règle la plus communément admise.
Toutefois, certaines fictions établies par la règle de droit, surtout dans le droit international public, apportent quelques bémols à la notion de résidence. Ces particularités concernent généralement les agents diplomatiques et les hauts fonctionnaires des organisations internationales.
Par définition, l’Agent diplomatique est le représentant du chef d’un État dans un autre État. En sa qualité de représentant d’un pays souverain et absolu, il ne peut être assujetti à un pouvoir étranger. Le corollaire de cette théorie est ce qu’on appelle en droit international public le principe de l’exterritorialité.
Alors que le Coordonnateur résident ou le représentant de l’ONU est appelé à coopérer directement et activement à la mise en place d’une politique économique et souvent sociale, dans l’État auquel il est accrédité. Selon le principe de l’exterritorialité, invoqué par Madame Manigat, il ne saurait donc être considéré comme étant un Agent diplomatique au sens strict du terme puisqu’il ne représente pas un État mais plutôt une organisation.
Cependant, il existe une autre théorie de l’Agent diplomatique, à laquelle les tenants de la non résidence, ont omis de faire mention. Il s’agit d’un autre principe de droit international sur les grandes institutions internationales, telles que l’ONU dont Haïti fait partie, communément appelé la théorie de la fonction ou du service public.
Selon cette théorie, les coordonnateurs résidents, représentants de l’ONU sur un territoire donné, pour pouvoir remplir leur mission-le plus souvent technique-, doivent être libérés de la soumission à l’ordre juridique interne de l’État bénéficiaire. On parle ici de nécessités de la fonction ou du service public international. Il est alors dans l’intérêt collectif des relations internationales, que ces représentants jouissent de certains privilèges et immunités accordés généralement aux membres du Corps diplomatique.
L’assistance technique constitue un moyen de coopération internationale. L’Institut de droit international qui, en 1895, avait établi et admis la théorie de l’exterritorialité, a adopté dès 1924 la théorie de la fonction ou du service public. Dans l’ensemble, et de manière générale, les accords et conventions consacrent le statut du chef de mission ou du coordonnateur résident de l’ONU en agent diplomatique.
Dans les faits effectivement, le statut juridique du Coordonnateur résident dans l’État auquel il est accrédité s’apparente, dans une certaine mesure, à celui des membres du corps diplomatique. De plus, la situation protocolaire que réservent aux coordonnateurs résident  les États bénéficiaires comporte toutes les nuances de celles d’un agent diplomatique à part entière.
À la lumière de la théorie de la fonction, il n’y a pas de doute que le Coordonnateur, ou le chef de mission de l’ONU doit être considéré, et l’est, dans les faits, comme un agent diplomatique au plein sens du terme, même s’il ne représente pas un État, mais un ensemble d’organisations internationales.
En dehors de cette théorie du droit international, la situation juridico légale des Coordonnateurs résidents a pour fondement également un ensemble d’accords et de conventions desquels Haïti est signataire. De manière générale, on les retrouve dans les traités suivants :
La convention sur les privilèges et immunités de l’ONU entant qu’organisation participant aux travaux du BAT (Bureau d’assistance technique).
La convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées (approuvée en 1947 et adoptée en 1951)
L’accord de base du BAT.
Les accords complémentaires du BAT dont Haïti est aussi signataire.
En conclusion, nulle doute, la désignation de M. Conille en sa qualité de haut fonctionnaire onusien doit soulever un certain nombre de questions. Surtout lorsqu’il n’a pas, totalement, résidé physiquement au pays au cours des 5 dernières années. Cependant, il ne suffit pas d’invoquer la règle de droit et brandir la notion d’exterritorialité sans tenir compte de tous les paramètres juridiques. Et de plus, l’éthique professionnelle, en dehors de toute allégeance idéologique ou politique, ne nous oblige-t-elle pas à une certaine rigueur intellectuelle ?
Dans la même veine, il ne fait aucun doute, que la position qu’occupe le Coordonnateur résident, dans les sphères économique, politique et sociale dans le pays oü il est accrédité, ressemble en plusieurs points à celle d’un agent diplomatique, et de ce fait, partage quelques avantages et privilèges. Parmi lesquels, bénéficiant de facto du statut diplomatique, bien qu’il ne soit pas un agent diplomatique au sens strict du terme, immunités et privilèges diplomatiques, l’exemption de taxes et surtout le statut de non résident (fiscal et juridique) dans le pays auquel il est accrédité.
En vertu de ce principe, il ne peut être considéré, de par sa qualité de haut fonctionnaire de l’ONU, comme un résident du pays bénéficiaire auquel il est accrédité. Or, il représente l’ONU et l’ONU n’est pas un pays; de plus, il n’existe aucun mécanisme lui permettant de jouer ce rôle. Par conséquent, il est donc juridiquement impossible de considérer le Coordonnateur résident comme un citoyen de l’ONU. En même temps, ce dernier  ne peut être apatride. Alors, pour éviter un éventuel vide juridique, le droit international public, par le biais des conventions et des traités auxquels Haïti est dûment signataire, institua ces deux notions qui sont rappelons les : le principe de l’exterritorialité et la théorie de la fonction ou du service public.
Par : Carl-Henry Jacques

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