Les efforts du gouvernement pour assainir les pratiques de passation de marché, la tenue prochaine des élections et la lenteur généralisée dans les processus de décaissement constatée dans tous les programmes ont constitué le gros des questions qui ont été abordées ce mardi par Garry Conille avec différents interlocuteurs à Washington pour la deuxième journée de sa première visite officielle
Les rencontres se sont encore une fois enchaînées à un rythme soutenu pour Conille et sa suite. D'un quartier à l'autre de Washington, de la Banque mondiale à la Banque interaméricaine de développement en passant par la USAID, les rendez-vous ont porté sur l'avancement de la reconstruction en Haïti et sur les embuches que doit surmonter le gouvernement.
Pour une fois, c'était aux responsables haïtiens de faire part de leurs griefs.
« Les promesses ne sont pas tenues et nos interlocuteurs le savent. Ensemble, nous avons passé en revue les procédures qui freinent les décaissements et les goulots qui font que la majorité des bailleurs n'ont pas pu atteindre les objectifs fixés », explique au Nouvelliste le Premier ministre dans sa suite du Ritz Carlton avant de partir pour un dîner chez Leslie Péan en Virginie.
« Récemment en Pologne, j'avais eu l'occasion de le faire savoir à l'Union européenne : moins de 20% des 700 millions d'euros promis à Haïti ont pu être dépensés en deux ans. C'est le cas aussi avec la Banque mondiale, la BID ou l'assistance américaine à Haïti. Tout le monde est à moins de 20% », se lamente Conille.
Remonté à bloc, le Premier ministre explique que c'est chiffres à l'appui qu'il a pu partout expliquer qu'il faut que les procédures changent.
« Haïti, le gouvernement, l'Etat ont leur part de responsabilités. Nous avons demandé de l'aide. Un renforcement de nos structures de supervision et d'attribution. Mais il faut aussi que nos amis, les bailleurs, changent leur vision de l'aide à Haïti et que les priorités du gouvernement haïtien aient la priorité ».
Pour le Premier ministre, il n'est pas normal que le chantier de l'Hôpital de l'Université d'Etat d'Haïti soit encore dans les limbes.
« J'ai expliqué à monsieur Shah de la USAID que nous devons tout faire pour que la construction de cet important centre de soins commence avant les 305 jours qui sont prévus actuellement. Il a été d'accord avec moi et la construction du service des urgences devrait débuter sous peu. »
Mêmes reproches à la Banque mondiale.
Le principal projet de la BM, 65 millions de dollars pour la reconstruction de maisons démolies par le séisme, vagabonde d'un bureau à l'autre de la banque. Pour ce qui est des 250 autres millions de dollars de l'enveloppe de la Banque mondiale pour Haïti, on est loin de leur attribution à des projets concrets; pour ce qui est des décaissements, il y a un monde de la coupe aux lèvres.
« J'ai expliqué au président Zoellick que la Société financière Internationale a une enveloppe de 30 millions de dollars pour Haïti contre 200 millions pour la République dominicaine. Plus grave, depuis deux ans, la SFI n'a rien financé en Haïti ».
Même discours de récrimination à la BID. Sur les 500 millions annoncés, peu de dollars sont venus irriguer l'économie haïtienne.
« J'ai l'accord du président Moreno, comme des autres responsables d'institutions financières, pour la réunion du 30 mars qui marquera les deux ans des engagements pris à New York en 2010. Nous allons à cette occasion établir en commun, Haïti et les bailleurs, un nouvel agenda de décaissement. Avant, le président de la BID viendra en Haïti pour réaliser avec moi et les techniciens une revue du portefeuille des projets BID-Haïti pour les évaluer un à un », annonce le Premier ministre.
« Les institutions internationales sont unanimes à reconnaître que si Haïti a des problèmes de capacité d'absorption, les procédures sont en grande partie responsables des retards pris », assène Garry Conille.
« Pendant que le président Martelly cherche de nouveaux fonds au Venezuela, nous avons pour mission de consolider les anciennes promesses et de provoquer l'accélération des décaissements. C'est une stratégie nécessaire. Haïti a besoin de capitaux frais cette année », croit le Premier ministre Conille.
Plus loin, le locataire de la Primature s'est voulu exigeant: « Haïti doit être en mesure de dicter ses besoins et de sortir du piège des bailleurs qui vont dans un sens pendant qu'Haïti souhaite aller dans l'autre direction. »
Comme exemple, Conille explique qu'aucune institution ou pays ami ne veut financer la levée de six millions de mètres cubes de débris qui sont encore à Port-au-Prince alors que c'est le premier critère des observateurs pour dire que la reconstruction n'avance pas.
« Les décaissements sont imprévisibles et ne suivent pas la logique de nos besoins », dénonce le Premier ministre.
Conille a aussi été l'objet de questions sur la direction que l'équipe Martelly et lui vont donner à la démocratie en Haïti.
« La question a été soulevée », laisse tomber le Premier ministre, pas très explicite sur l'identité de son ou de ses interlocuteurs sur le sujet.
« Nous avons annoncé pour bientôt la constitution d'un nouveau CEP et la tenue des élections ».
En ce qui concerne la corruption, véritable noeud gordien des relations entre Haïti et ses donateurs qui enlèvent depuis des années les capacités du pays à l'aide qu'on lui verse, Conille est plus prolixe.
« J'ai annoncé à tous mes interlocuteurs que la corruption sera combattue. Une commission d'audit passe en revue tous les contrats signés dans le cadre de la loi d'urgence. J'ai un conseiller technique qui veille à ce que tout se passe bien au niveau de mon cabinet et tous les processus de passation de marché sont sous surveillance. »
Pour Conille, ce retour sur les contrats signés ne va pas mettre en retard les nouveaux.
« On peut aller vite en respectant les procédures. Nous allons vérifier si tout était en ordre. Les contrats qui ne passent pas l'examen seront mis de côté et les autres respectés »
« Il n'y avait pas d'approche systématique dans le mode d'attribution des contrats, déplore le Premier ministre.
« On a utilisé tour à tour le gré à gré, les appels d'offres restreints et la concurrence ouverte. Les experts qui arrivent vont nous aider à voir plus clair. C'est une exigence pour rassurer nos bailleurs et une exigence pour l'administration Martelly-Conille qui décaisse les fonds dont je suis comptable », a conclu le Premier ministre Garry Conille.
Si le Premier ministre a rencontré ce mardi un sénateur et deux députés américains qui sont influents dans l'attribution de fonds à Haïti, la partie politique de sa visite est pour ce mercredi. Il est attendu au Département d'Etat.
Frantz Duval
Source Le Nouvelliste
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire