Depuis quelques semaines, des hommes armés qui s’identifient comme des militaires démobilisés ont investi des anciennes casernes des Forces armées d’Haïti (FAD’H). On les remarque partout, à n’importe quelle heure. Si leur présence rassure les militaristes et les nostalgiques de l’armée, elle ne crée pas moins une psychose de peur bien légitime chez bon nombre de citoyens.
La question des anciens militaires préoccupe plus d’un. Des officiels et des particuliers ne cessent d’exprimer leurs inquiétudes. Le Sénat de la République, jusqu’à présent muet sur la question, a voté le mardi 6 mars 2012 deux résolutions relatives à la présence de ces individus armés dans les anciens baraquements des FAD’H et dans les rues de la capitale et de certaines villes de province. Dans ces résolutions, les pères conscrits déclarent que les militaires démobilisés représentent une menace pour la paix publique, et réclament par conséquent leur désarmement pur et simple. Ils souhaitent qu’une enquête soit diligentée pour déterminer où et comment ils se sont procuré armes et munitions. Le président Michel Martelly, de son côté, a annoncé qu’il avait passé des instructions formelles aux services et corps concernés, afin de maintenir l’ordre et la paix publics sur toute l’étendue du territoire national. Il croit que la constitution d’une nouvelle force publique ne peut se faire que dans l’ordre.
Dans cette même veine, le gouvernement, par la voix du ministre de l’Intérieur, des Collectivités territoriales et de la Défense nationale, Thierry Mayard-Paul, a demandé aux anciens militaires de rentrer chez eux paisiblement. « Le gouvernement n’a autorisé personne à investir ces espaces », a-t-il dit. Par ailleurs, il rappelle, dans un communiqué, à tous les concernés les dispositions de l’article 268-3 de la Constitution sur la détention des armes de guerre : « Les Forces armées d’Haïti (FAD’H) ont le monopole de la fabrication, de l’importation, de l’utilisation et de la détention des armes de guerre et de leurs munitions ainsi que du matériel de guerre. » Tout refus d’obtempérer, menace-t-il, sera puni conformément à la loi.
Comment aborder la question de l’armée ?
La remobilisation des Forces armées d’Haïti est une préoccupation générale. De l’avis du professeur Victor Benoit, l’armée n’est pas la priorité de l’heure. Tout en concédant qu’elle a été démobilisée dans des conditions anormales, il croit qu’elle ne doit pas être reconstituée dans les mêmes conditions. L’ancien président de la Fusion des sociaux-démocrates croit qu’il faut un large consensus entre les pouvoirs de l’État, d’une part, et le reste de la société, d’autre part, afin de trouver un accord sur la remobilisation de l’armée.
Victor Benoit insiste beaucoup sur le rôle de l’armée dans la construction de la nation haïtienne : « L’armée fait partie de notre existence. Nous ne pouvons rester indéfiniment sans remobiliser les Forces armées d’Haïti. Il revient au président de la République d’enclencher un dialogue en ce sens avec tous les secteurs de la société. » Victor Benoit pense cependant qu’il n’est pas question de tolérer que des hommes en tenue militaire circulent à travers le pays. Car, explique-t-il, il est difficile de différencier les anciens des prétendus militaires.
Le politologue Gracien Jean abonde dans le même sens que Victor Benoit. La problématique de l’armée, rappelle-t-il, doit être abordée dans un cadre institutionnel, puisque son démantèlement en 1994 était fondé sur une résolution du Parlement de l’époque. Quoique l’armée d’Haïti existe constitutionnellement, Gracien Jean pense qu’il faut une autre résolution du Sénat de la République pour la remobiliser. Concernant les militaires qui occupent des camps d’entraînement, M. Jean préconise une solution à l’amiable afin de prévenir d’éventuelles confrontations entre les fils et filles d’Haïti.
L’armée ou la mort !
« L’armée ou la mort ! » C’est le credo de ces hommes cantonnés dans le camp de Lamentin. Ils affirment être prêts à se sacrifier pour le retour immédiat des Forces armées d’Haïti. Réagissant aux récentes déclarations du président de la République demandant que l’ordre et la paix publics soit garantis, Yves Jeudi, commandant de la troupe basée à Lamentin, promet de se plier au vœu du Président. « Je reconnais le président comme un homme conséquent et sérieux qui respecte la parole donnée. Il est le chef suprême de la nation, je respecte sa capacité. Dorénavant, on ne va plus remarquer la présence des militaires en uniforme dans les rues. »
Pour ne pas entrer en contradiction avec le président de la République, les militaires ont pris la décision de rester dans leurs bases. Car, répète Yves Jeudi, ils ne voudraient pas que le président Martelly perde un iota de ses cinq ans. Monsieur Jeudi estime rendre un grand service au président de la République en donnant une formation militaire à des jeunes qui pourraient être utiles lorsque l’armée sera remobilisée. Car, informe-t-il, pour former 1 500 militaires pendant six mois, aujourd’hui il faut environ 9 milliards 300 millions de gourdes.
En ce qui a trait à leur armement, Yves jeudi s’es référé à l’accord de Carthagène paraphé par le président Jean-Bertrand Aristide le 15 mars 1995. Par cet accord, M. Aristide a réduit l’effectif de l’armée à seulement 1 500 hommes, dit-il. Les autres militaires ont été renvoyés chez eux avec des armes et munitions en leur possession. Façon dire que ce sont ces armes qu’ils utilisent aujourd’hui.
Source : Le Matin Haiti